Une île, une caserne
et des champs
J'écris chacun de mes récits tels que les événements se sont déroulés, sans arrangement ni agent conservateur.
L'île aux jacques
L'endroit ressemble à un coin de paradis. Un lac entouré d'un patchwork de champs rouges et verts, des montagnes claires et basses au loin.
On traverse un pont de bois archaïque long d'un demi-kilomètre, et l'on débarque sur une île presque conique, effet accentué par un stupa dominant en son centre. Ainsi, on ne la traverse pas, on en fait le tour.
Elle est en grande partie couverte d'un gazon régulièrement tondu – insolite pour la Birmanie – et d'un verger. La plupart des arbres sont des jacquiers, qui donnent un fruit qui rivalise de taille et de poids avec la pastèque. Jaune, filandreuse et baveuse, la jacque est très appréciée en Asie. Hélas, c'est le seul fruit que mon estomac n'accepte pas.
Depuis la hutte de béton où je loge, la vue est fantastique. L'endroit est d'un silence délectable. Il y a trois moines et trois vieilles nonnes, chacun dans son logis. La journée, on peut voir des employés en uniforme entretenir les lieux. L'abbé, la soixantaine, est un ancien boxeur.
C'est lui qui décide de tout sur l'île. Les abbés de campagne me rappellent un peu les seigneurs du Moyen-âge. On est loin des moines effacés, refusant toute possession et ne demandant jamais rien.
Le matin, de minuscules oiseaux viennent me saluer. Ils sont si petits que je les prends d'abord pour des insectes. Ils ne sont pas peureux, car je peux m'en approcher à un mètre à peine. À l'inverse, il y a des papillons géants. Le dessin de leurs ailes imitent d'une manière saisissante les yeux perçants d'un gros reptile.
Ici, les nonnes, qui parlent une langue locale mais pas un mot de birman, préparent une nourriture simple et savoureuse, mais trop épicée. Je décide donc, dès le lendemain, d'aller chercher ma pitance au village.
Vers les 9 heures, bien emballé dans ma robe et mon bol léger en main, je longe le pont et traverse la campagne jusqu'au village. Quand je pénètre dans le marché, les marchands me font m'asseoir et m'apportent tous des plats divers, goûteux et chauds. L'alimentation chaude est rare en Birmanie, surtout pour un moine. Ensuite, je suis raccompagné en mobylette jusqu'au pont.
Ces conditions paraissent si belles qu'on peut se demander où se trouve le hic. Il se trouve en haut des arbres.
Des haut-parleurs sont disposés de sorte à couvrir toute l'île. Deux fois par jour pendant une heure et demie, le tendre silence est saccagé par une abominable et dissonante voix qui crache des récitations que personne n'écoute ni ne comprend. Ce méditicide intervient à 18 heures, puis à 2 h 30 le matin ! Réveil brutal, rendormissement impossible. Je tente malgré tout de résister, mais ne tiens pas plus de huit jours.
Caserne de méditation
3 camions, 2 minibus et 1 mobylette me mènent au sommet d'une colline dominante du plateau shanois. Elle est enveloppée par des vents qui voilent et dévoilent une bande de montagnes aux couleurs saisissantes et si éloignées que j'arriverais presque à croire que la Terre est plate.
En ce lieu, est supposé se trouver un centre de méditation. Pourtant, tout me laisse croire que je me trouve dans une caserne, à l'exception de la couleur de l'habit des soldats, heu… pardon, des moines.
Ici, tous les actes de la vie quotidienne font l'objet d'un emploi du temps réglé comme du papier à musique, y compris la douche et la lessive. Ça n'est pas si exceptionnel, il existe d'autres centres de méditation – camp de méditation, comme disent les Birmans ! – tels que celui-ci. Disons que ça n'est pas le genre de monastère qui correspond à mes critères. Visiblement, certains adorent, surtout les débutants pour qui un emploi du temps vide, donc libre, pourrait être perçu comme un vertige.
Si vous avez une longue expérience de méditation et de vie monastique, vous pourriez vous sentir comme un pilote de formule 1 contraint à être chauffeur de taxi dans une ville à la vitesse très limitée et aux nombreux panneaux de signalisation.
Ce qui est grandement appréciable, c'est ce complet silence qui règne, on n'entend pas un seul chien. C'est si rare, en Birmanie. Il est même interdit de parler, en dehors des entrevues de méditation. Le temps d'une retraite, le "Noble Silence”, comme on l'appelle, est une excellente chose. En revanche, sur le long terme, ce peut être nocif.
Bouddha a souligné l'importance de s'entraider entre compagnons.
Il y a le temps de la pratique, où chacun reste isolé dans le silence, et le temps du partage d'expériences, essentiel pour progresser sur la voie de la sagesse. Bouddha appelait cela “l'amitié dans la vie monastique”.
Les villages sont loin, et surtout, le monastère est dépourvu de hauts-parleurs, car oui, les endroits les plus bruyants du pays sont les monastères !
Quand je m'apprête à aller voir le colonel, heu… pardon, l'abbé, son principal assistant me briefe.
- Aussitôt que tu entres dans la pièce, garde les mains jointes en signe de respect. Avance lentement, la tête baissée. Ne regarde jamais directement l'abbé. Ne déroule surtout pas d'un seul coup ton tapis d'assise. Déplie-le de cette façon…
Là, il me montre précisément, selon un rite imposé par l'abbé, comment ouvrir et poser avec délicatesse ce petit tapis que les moines, avons tous, plié et posé sur l'épaule. Cette pièce de tissu sert à nous asseoir, généralement par-terre, sans se salir la robe.
Il me montre comment fermer la robe en formant une manche et un long rouleau, selon la tradition thaïe, bien qu'on soit en Birmanie. Ensuite, il m'explique comment se prosterner, en positionnant genoux, coudes, mains et front au centimètre près.
Face au ridicule de la situation, j'éclate de rire et m'exclame, en birman :
- C'est exactement comme les militaires !
D'un même élan, je singe le garde-à-vous. Il fait semblant de ne pas comprendre et se met à rire jaune. Mon but n'est pas de me moquer, mais d'aider ces gens à prendre conscience que leur esprit est trop accaparé par les formalités. J'aimerais pouvoir leur expliquer beaucoup de choses, mais le problème dans ce pays, c'est qu'ils n'écoutent pas du tout les étrangers.
Les moines que j'aperçois ici ne me donnent pas l'impression d'être bien immergés dans la méditation. Ce qui est sûr, par contre, c'est qu'ils excellent dans l'art de l'apparence parfaite.
En me dirigeant vers le logement du maître, je songe que de toute évidence, je ne ferai pas long feu par ici ! Je ne suis pas venu pour faire le soldat. Pourtant, dans une caserne, personne n'échappe à la discipline militaire.
Dommage, car hormis les obligations contraignantes, tout est impeccable : calme, propre, pratique, esthétique, même. Dans les monastères, les murs sont souvent peints dans ce vert pâle horrible, comme s'il n'y avait qu'une seule usine à peinture, produisant un seul coloris, ou plutôt deux, car les poteaux et les cadres des fenêtres sont immanquablement peints en rouge foncé.
Ici, les cabanons sont d'un jaune doux, et le reste caramel foncé. C'est peut-être un détail, mais l'impact sur mon cerveau est très positif. Né d'un père imprimeur et d'une mère décoratrice, j'ai toujours été sensible aux couleurs, surtout quand elles sont naturelles.
Après dix minutes de marche sur une grosse épaisseur de graviers, me voilà devant la porte de l'abbé officier.
J'entre tel que je le ferais en rendant visite à n'importe quel moine : la robe fermée à la birmane, juste un pan autour du bras, ne joignant les mains qu'en arrivant près de lui, le regardant droit dans les yeux. Je déroule mon tapis d'assise en l'air, le pose d'un coup, et me prosterne normalement.
Il ne dit mot. Toutefois, la fermeture de robe semble l'obséder quelque peu. Alors il se lève et me montre lui-même comment la fermer.
Je constate à son comportement qu'il aime son rôle de haut gradé.
Il me demande de venir aux récitations du matin, de l'après-midi, à la prise quotidienne des préceptes et, pire que tout, de méditer dans la salle avec les autres. C'est comme demander à un animal solitaire d'intégrer un troupeau. Quant aux entrevues de méditation, bien que je lui indique ne pas en avoir besoin, lui exposant en bref ma longue expérience, il m'avance un argument imparable :
- Même si tu es un être pleinement éveillé, il faut venir aux entrevues.
Comme il s'aperçoit que je ne suis pas novice, il concède toutefois à me faire venir qu'une fois tous les quatre jours. Appréciant son effort, j'accepte de me rendre aux entrevues. Par contre, pour le reste, pas question ! Je suis ici exclusivement pour méditer, il n'y a donc pas de temps à perdre.
Après la première nuit, je ne suis toujours pas chassé. Pourvu qu'ils me laissent encore en dehors du rang. Je pourrais ainsi passer une seconde nuit, ce sera toujours ça de pris !
Lisez l'encart ci-dessous afin de comprendre la suite :
La robe d'un moine, selon la communauté établie par Bouddha, se compose de deux pièces rectangulaires de tissu.
– la robe du bas
– la robe du haut, presque deux fois plus grande que celle du bas
Vraisemblablement, au temps de Bouddha, ces robes étaient nettement plus petites, donc bien plus pratiques à porter. La raison étant que les mesures de l'époque ont été largement exagérées par les traducteurs. Pour cette même raison, les règles monastiques actuelles parlent de lits et de chaises hautes au moins comme des tables. Fallait-il donc un escabeau pour s'asseoir ou se coucher ?
Quand je reste à l'intérieur du monastère, j'utilise, en guise de robe du haut, la robe du bas d'une robe de grande taille. Elle est de ce fait nettement plus courte qu'une robe du haut classique, mais sa dimension est tellement plus humaine ! Même en la tirant bien, elle ne descend pas plus bas que le haut du genou. Si l'abbé constatait que j'ose porter une telle robe, y compris pour me rendre à la salle à manger, son cœur manquerait un battement, et il me ferait fusiller.
Un jeune moine vietnamien le remarque. Comme il est interdit de parler, il me fait comprendre à l'aide de gestes et de grognements désapprobateurs que la robe supérieure doit tomber bien en dessous du genou, seulement une largeur de main de moins que la robe du bas. Je me contente de lui sourire gentiment, préférant le laisser croire que je suis un débutant qui ignore comment mettre proprement sa grande robe, et qui de plus, se moque de l'apprendre.
À table, j'ai le nez qui coule. Je me mouche dans la serviette en tissu disposée devant moi. Le moine de tout à l'heure semble horrifié. Pourtant, je n'ai fait que suivre l'habitude birmane à laquelle je suis tant accoutumé : une seule serviette pour tout le monde, aussi bien pour s'essuyer la bouche que pour essuyer tout ce qui peut l'être ! De plus, ici, nous en avons une chacun. Mon voisin m'offre alors un nouveau numéro de mime pour m'expliquer que la serviette en tissu, c'est seulement pour la bouche, et pour le reste, je dois utiliser l'essuie-tout qu'il me tend gentiment.
Le repas achevé, je retourne à mon logis et ne le quitte plus jusqu'au petit-déjeuner du lendemain, absorbé dans ma méditation. Après deux nuits, je persiste à demeurer cloîtré, exception faite des deux repas de la journée. Ainsi, j'échappe à toutes les récitations et autres encombrements de l'esprit. On prétend souvent que les récitations sont une source d'inspiration pour les débutants. Le problème, c'est que cela détourne beaucoup de la pratique.
De toute évidence, on ne me tolérera pas longtemps. C'est bête. Pour une fois que j'avais trouvé un monastère qui propose une alimentation exclusivement végétarienne, encore une rareté en Birmanie. De plus, elle ne baigne pas dans l'huile, comme ailleurs. Tant pis ! Je suis un moine, pas un touriste. Je suis donc tenu de me contenter de n'importe quelle situation… dès lors qu'il n'y a pas de sérieux obstacle à la méditation.
Après trois nuits, je constate avec étonnement qu'on ne m'a toujours pas viré. Pour moi, il n'y a pas de doute : l'abbé ferme les yeux, car il est bien content d'avoir parmi ses résidents un méditant correctement et constamment établi dans sa méditation.
Hélas, mon pire ennemi ne me lâche pas d'un poil : le froid. Madame Vent me fait une bise glacée. Elle me souffle de mettre les voiles. De jour comme de nuit, les châles pèsent sur mes épaules. La pluie fine du matin ne fait que retenir les températures vers le bas. Alors mes rêves éveillés de régions tropicales situées en bas des montagnes ne font que gâter ma méditation.
Au bout de deux semaines de séjour dans cette caserne propre et silencieuse, je vais faire mes adieux au maître des lieux. Ne connaissant pas son nom, me vient l'idée de lui faire passer un test tout simple, mais dont la réaction peut en dire long sur le caractère et des qualités diverses, telles que l'humilité. Je lui demande tout simplement son nom.
Il écarquille des yeux ronds comme des balles de ping-pong et, d'un air aussi vexé qu'étonné, il s'écrie :
- Tu ne sais pas ??
Puis, en guise de réponse, il me donne un livret à propos de lui et de son monastère.
Trop froid ou trop chaud
L'université bouddhique
À Taunggyi, je passe à l'université bouddhiste pour rendre visite à une amie nonne européenne. Immergée dans de hautes études, elle m'explique qu'ils ont accès à d'anciens textes inconnus qui montrent comment des concepts exposés par les commentaires “officiels” des enseignements bouddhiques se trompent.
Il me semble que plus on étudie, et moins on est sûr de ce que Bouddha a réellement dit sur les stades de la méditation profonde. Autant il n'y a pas de place au doute quant aux bases de la pratique, autant les phases plus avancées font souvent l'objet de désaccord entre les écoles et les sous-écoles. Cela entretient ma croyance qu'il est préférable de délaisser l'intellectualisation au profit de la pure pratique. Quand on se contente de suivre les conseils – ultra simples ! – de Bouddha et de ses principaux disciples, on ne peut faire autrement que de progresser à grands pas dans la méditation et la sagesse.
Elle me montre la bibliothèque. On y trouve des allées remplies d'ouvrages exclusivement sur le bouddhisme. Il y a une salle spéciale uniquement pour les Écritures canoniques et les Commentaires. C'est sans fin, j'en ai presque la tête qui tourne.
Je passe l'après-midi seul dans ma chambre, assis les yeux fermés.
Le lendemain, je descends de la montagne vers moins de froid. En fait, j'aurais presque dû m'arrêter à mi-chemin pour une température optimale.
Un monastère normal
Si normal qu'il n'y a pas grand chose à raconter de ce monastère de méditation près de Monywa.
Passage direct de la chair de poule à la transpiration. Durant la journée, mon petit logement de béton au toit de fer devient une étuve. L'abbé, un gentil et souriant bonhomme, finit par me proposer un lieu plus adéquat à ma méditation, que j'adopte aussitôt.
C'est une grande salle poussiéreuse avec quelques crottes de chien sur le plancher. Pour le moins, c'est désert et il y fait presque frais. Derrière le bâtiment, retentit souvent un marteau-piqueur que je parviens presque à ignorer tant j'ai connu des obstacles nettement plus conséquents. Au moins, c'est un bruit régulier qu'il est possible d'oublier.
Je demeure un mois et demi dans ce vaste monastère, mangeant à la table de trois moinillons.
Le monastère “Nature”
Pleine campagne
Avant de quitter la région de Monywa, je souhaite tester un monastère de campagne. Il m'a été indiqué par le bienfaiteur rencontré deux ans auparavant : voir le 1er récit.
Pour deux semaines, j'ai le bonheur de savourer du silence et de la simplicité. Entouré par la pleine campagne, ce vieux monastère de pierre et de terre porte plutôt bien son nom, qui se prononce Nè Tcha, presque comme le mot anglais nature.
Ici, il n'y a rien. Il y a donc tout ce qu'il faut pour la méditation ! Entre les quelques bâtiments ne se trouve que de la terre. C'est tellement plus agréable que le béton, pour les pieds autant que pour les yeux. Ma méditation prend place dans une minuscule cellule à la forme d'une grotte, au fond et en contrebas du monastère. Les moines qui pratiquent sérieusement la méditation étant rares, ce type de lieu est toujours libre.
Collecte de la nourriture
Après les premières méditations du matin, la robe bien fermée et le bol en mains, je traverse des champs de sésame, puis de maïs. Plus loin, il y a un jeune paysan debout sur sa houe, tiré par deux vaches blanches, attelé à sillonner un champ.
Dans le village, les dames se bousculent pour verser un peu de riz, de légumes et de friandises dans le bol du “visage pâle”.
Ici, les villageois ont une telle volonté de donner que pour satisfaire tout le monde, les jours suivants, il est convenu que mon bol ne sert qu'à recevoir le riz, tandis qu'un garçon m'accompagne avec un récipient métallique à étages pour y recevoir les plats. Pendant la tournée, le gamin se met à mâcher du bétel, donnant l'impression d'avoir la bouche remplie d'un mélange de goudron et de sang.
Comme je trouve déplacé de faire cela en accompagnant un moine, je lui demande de vider tout ce qu'il a dans sa bouche. Nous sommes alors assis dans une maison. Au lieu d'aller dehors, il crache le mélange répugnant à même le sol. C'est de la terre battue, mais tout de même. Quand je sermonne le gosse, les habitants s'étonnent. Pour eux, c'est normal de cracher du bétel par terre sous leur toit. Même après tant d'années, j'ai toujours un peu de mal avec ce genre de comportements. Comme on dit dans ces cas :
- C'est une autre culture !
De retour au monastère, je vide tout, puis n'insère dans le bol que ce que je mangerai. Je nourris le garçon. Le reste est offert aux nonnes. Chaque matin à l'aube, elles m'apportent un potage ou des pâtes. Malheureusement, je mange à peine, car tout baigne dans l'huile. C'est la même chose avec la nourriture du village.
Mon astuce consiste à laisser les sauces et les légumes sur le riz jusqu'au moment du repas, soit pendant deux heures. Une bonne partie de l'huile a ainsi le temps de se retrouver au fond du bol. Je ne mange de toute façon que peu de riz, évitant ainsi la partie ayant servi de filtre.
Absurdités
À côté de leurs croyances superstitieuses habituelles, telles que les récitations et les offrandes aux statues, les moines ont de belles qualités de contentement et d'endurance que j'aimerais bien pouvoir développer aussi bien. Ils se contentent vraiment de presque rien et endurent les difficultés sans sourciller. Je n'en vois jamais un qui s'agite en s'irritant lorsqu'il est harcelé par les moustiques.
Souvent, ils bénéficient d'une excellente base, mais on dirait qu'ils ne cherchent pas à pousser un peu plus loin leur pratique. C'est comme s'ils ne faisaient que suivre l'influence de leur environnement. Même les gens du village semblent se contenter de très peu.
Voici quelques-unes des absurdités rencontrées ici, mais qui se retrouvent dans tout le pays…
Dans le bâtiment où je suis logé, il y a des toilettes avec douche, mais la pièce est fermée à clé. Le donateur du bâtiment est le seul à les utiliser, quand il vient loger ici… quelques jours par an. Il considère, à l'instar de beaucoup de gens, qu'il est impropre que les moines utilisent les mêmes toilettes que les laïcs.
Bouddha n'a jamais interdit de telles choses. Si j'avais rencontré ce donateur, je n'aurais pas manqué de lui demander comment font les moines dans un avion, ou à l'étranger.
Dans les monastères birmans, les toilettes extérieures se divisent toujours en au moins deux WC ; un réservé aux moines, et un pour les autres.
Ainsi, ils peuvent être extrêmement pointilleux pour des détails dépourvus de sens, et négliger totalement des points pourtant essentiels.
Alors pour aller aux toilettes la nuit, il faut sortir et aller au fond du monastère, et se débrouiller avec une lampe de poche, car il n'y a d'éclairage ni dans les toilettes, ni sur le chemin qui y mène. Faute de moyens, pensez-vous ? Pourtant, il y a une salle déserte, avec une statue de Bouddha au-dessus de laquelle brillent environ 200 ampoules de toutes les couleurs, et pas des ampoules économiques !
Plusieurs panneaux indiquent “Silence SVP”. Cela n'empêche pas, vers 21 heures, des haut-parleurs de déverser des récitations.
Quoi qu'il en soit, il importe de toujours voir le bon côté des choses.
- J'ai sympathisé avec la belle et grande araignée des toilettes du fond. J'ai même vu naître ses petits !
- Si je fais du bruit, on ne peut rien me dire.
- Bon, j'avoue que pour les ampoules colorées qui gaspillent l'électricité, je ne trouve pas d'avantage.
Dernier jour
Lors de la collecte de nourriture, je parcours chaque jour un tiers du village et change chaque fois de coin, afin de satisfaire tout le monde. Pour l'ultime fois, on m'incite à parcourir le village dans son intégralité. Ce qui compte pour les villageois, ce n'est pas que j'obtienne suffisamment de nourriture, parce que j'en ai déjà trop. Je ne parviens même plus à fermer le bol, même le couvercle déborde !
L'important pour eux, c'est de pouvoir me donner quelque chose. Le gamin et moi avons tant de sacs remplis de biscuits et fruits que nous devons en confier ci et là. On me vide même le bol dans un grand pot, afin que je puisse bien recevoir le riz de toutes les maisons.
Pour ces gens, l'offrande de nourriture est bien plus qu'un simple acte de générosité, c'est une pratique presque sacrée. Et ici, ils sont bien tristes, car d'habitude, aucun moine ne passe.
La dernière semaine de la saison des pluies, que je passe à Sagaing, le soleil ne s'absente que pour la nuit. Je me trouve dans le monastère au long couloir. Comme je le déclarerais – sur le ton de la plaisanterie – à des amis moines :
- Je perds mon temps dans ce monastère, parce que tout est parfait, ici.
Ce qui sous-entend que seules les difficultés sont en mesure de nous faire progresser.
Une fille pure
Avant de mettre les voiles vers mon port d'attache dans le Sud, je fais un saut à Mandalé pour saluer quelques-uns de mes anciens élèves. Entre autres, je revois deux de mes actrices principales, Chanel et Jenny.
Je rends aussi visite à Katy, qui vit entassée avec sœur, cousins et tantes dans une ruine à peine plus grande mais moins propre qu'une cage à poules. Sereine, le regard bienveillant, toujours un sourire aux lèvres, elle respire la pureté. En dépit de ses 15 ans, elle médite de temps en temps.
Quand je lui parle de l'importance de la vertu et des préceptes de base, elle écoute avec attention et semble bien d'accord. Lorsque je lui indique qu'elle a acquis le plus important, car elle a l'esprit propre, elle baisse la tête, puis me confesse, honteuse :
- Je ne suis pas pure sur les 5 préceptes.
- Pourquoi tu crois ça ?
- Des fois, mais rarement, je dis un petit mensonge. Par exemple, si ma mère me donne de l'argent de poche, mais que je sais qu'elle a des difficultés financières, je lui dis que c'est pas la peine, qu'il me reste encore des sous, même si ce n'est pas vrai.
À bon esprit,
point de couleur !
Cette escapade a duré près de 4 mois, sur une île, dans une “caserne”, dans les champs, et dans d'autres lieux encore. Je constate que le plus pur des êtres que j'y ai rencontré n'est pas un moine. C'est l'adolescente d'un presque bidon-ville de la grande et sale ville de Mandalé.