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Collecte de nourriture en ville avec un compagnon idéal de 12 ans ½, qui amé­nage com­plète­ment et tout seul sa nou­velle cabane.

L'abbé est mala­droit face à ce pré-ado trop intel­ligent pour lui. Événements étranges dans la campagne birmane.

Suggestion pour une lecture efficace
Imaginez, vous n'êtes pas sur le Web : effec­tuez des pauses, prenez le temps de réfléchir…

Un binôme parfait

100 % pur jus

J'écris chacun de mes récits tels que les événements se sont déroulés, sans arrangement ni agent conservateur.

Début du récit : Le long couloir

Collecte en ville

Ce matin, la pluie cessa juste au moment de partir pour la col­lecte, nous fûmes donc épar­gnés de trem­page. Nous déci­dâmes d'aller jusqu'en ville, la pre­mière fois sans l'abbé.

Nous fîmes de l'auto-stop. Comme Sandima n'osait pas faire signe aux con­duc­teurs, je m'en chargeais, tandis qu'il me prévenait de l'arrivée d'un véhicule poten­tiel. Nous fûmes rapi­de­ment pris. Nous étions assis à l'arrière d'une camion­nette ouverte, avec trois autres personnes, dont la pro­pri­étaire du véhicule. Celle-ci me demanda où nous souhai­tions nous rendre, puis téléphona… au chauffeur – situé donc à environ un mètre d'elle – pour lui indiquer où nous déposer.

Elle me dit avoir vu mon interview – en birman – sur Inter­net, puis m'offrit des crédits télé­pho­niques – que j'employais pour poster mes écrits. Il était temps, car j'étais à sec.

Dès que nous parvînmes en ville, j'optai pour un chemin plus facile que les autres, et que je réussis à me souve­nir en dépit de mon grand sens de la déso­rien­ta­tion. Nous tra­ver­sâmes le quartier chinois et ses nom­breux commerces, le vieux marché, et pour finir, lon­geâmes un peu le bord du fleuve Chin Dwin, qui ressem­blait à un lac tant il était large.

Nous entrâmes seulement chez les bien­fai­teurs habi­tuels, mais quatre nouveaux nous appe­lèrent pour nous donner plats mijotés et gâteaux, ce qui ne se pro­duisait pas en collec­tant avec l'abbé. À chaque maison, nous étions tran­quille­ment assis, le lourd bol posé sur une table.

Les bienfaiteurs habituels étaient surtout des commerces. Chez l'un d'eux, qui nous offrit un régime entier de bananes – entre autres choses –, j'eus une conver­sation avec deux gamines de onze et huit ans qui se dé­brouil­laient mieux que moi en anglais !

Elles devenaient nonnes un mois chaque été. L'une comme l'autre, elles visaient le doctorat de médecine, puis à terme souhai­taient être nonnes pour de bon, afin de devenir nonnes doc­to­resses !

La dernière bienfaitrice de la ronde nous fit conduire jusqu'à un autocar qui nous lâcha près de notre monas­tère. Le riz en quan­tité rai­son­nable, nous obtînmes de bons plats, des gâteaux, des fruits, des boissons, plein de sachets de café au lait, et pour cou­ronner le tout, des crédits Internet.

Naturellement, Sandima voulait y retour­ner le len­demain. Néan­moins, il valait mieux changer régu­lière­ment d'iti­néraire pour ne pas inciter à la géné­ro­sité toujours les mêmes donateurs.

À notre retour, il fut tout juste l'heure de se mettre à table. En commen­çant la pre­mière bouchée, il se mit à pleuvoir des cordes.

Nous formions tous les deux un cocktail parti­culier, un binôme parfait. Au village, aussi, on nous donna une colonne de réci­pients super­posés pleins de nourri­ture ; on nous deman­dait de passer tous les jours , ce qui ne se pro­dui­sait pas non plus quand nous étions avec l'abbé.

Événements divers

La cage

Près de la pagode voisine, il y avait une cage vide, du genre de celles qu'on emploie­rait pour des macaques. Curieux, j'inter­ro­geai Sandima.

  • C'est pour quoi cette cage, des singes, des oiseaux ?
  • Non, ça sert quand il y a une fête.
  • Pour un jeu ?
  • Non, c'est pour y enfermer ceux qui boivent un coup de trop et qui fichent la pagaille.

Le petit serpent

Après avoir découvert un petit serpent dans sa kuti, Sandima préféra passer la nuit dans la grande sale des céré­monies. J'avais réussi à le récupérer dans une boîte, mais il en ressor­tit d'un bon juste au moment où je m'empres­sais de refer­mer le cou­vercle. Il s'en alla dispa­raître dans un trou du mur.

Atmosphère tendue

Lorsque des bienfaiteurs vinrent au monas­tère, l'abbé ne put se per­mettre de bouder la salle à manger. Depuis, il nous honorait de nouveau de sa pré­sence. Les « pas de bruit ! », « tais-toi ! » et autres « fais pas comme ça ! » repri­rent donc leur service.

En pleine prise des préceptes, qui étaient ici effectués de manière ultra solen­nelle, Sandima lâcha un gaz sonore. Fou rire diffi­cile à contenir, sous l'air tendu, sérieux et sévère de l'abbé.

Roman

L'histoire de mon nouveau roman se déve­loppait natu­relle­ment. Le sque­lette était prêt, toute l'histoire était stockée dans un coin de mon esprit. Bien sûr, je m'inspi­rais de Sandima pour peau­finer le per­sonnage de la fillette, bien que j'eus déjà créé ses traits princi­paux avant de connaître ce sacré gamin.

Parfois, je ne disposais pas du smartphone. J'écrivais donc quelques phrases dans ma tête et me les répétais en boucle afin de ne pas les oublier.

Délire xénophobe

Ici, dans la campagne, il y avait des personnes si peu édu­quées que leur façon de penser frisait le délire. Des gens mirent en garde les villa­geois contre moi :

  • Ne lui donnez pas de riz à celui-là ! C'est un étranger déguisé en moine qui œuvre pour les terroristes !

Ce n'est pas une plaisanterie, c'est un paysan que l'abbé connaît bien qui me rap­porta ce fait. Je n'osais pas ima­giner ce que cela eut été avec mon appa­rence de fakir. M'aurait-on retrouvé avec une hache plantée entre les omo­plates ?

Sur le coup je fus tout de même resté quelque peu scep­tique.

  • Vous devez vous méprendre, mon brave. Je viens de traverser le village, et tout le monde m'a donné de la nourriture.
  • Ce n'était pas par respect, mais par crainte !

Déménagement

Nouveau logement

La kuti de Sandima était assez confortable en dépit de sa petite taille. Murs en ciment et sol en parquet, c'était un des seuls bâti­ments du monas­tère qui compor­tait des fenê­tres avec des vitres et une porte fermant à clé. La possi­bi­lité de verrou­iller n'était pas un luxe ici, avec l'ogre qui avait l'habitude de “prendre ce qui traînait”.

Toute­fois, l'abbé estima que Sandima ne la méritait pas, alors il le délogea pour le placer dans une vieille cabane sans sol, c'est-à-dire posée à même la terre. Cette cons­truc­tion, faite de lattes de bambou tressées, était dépour­vue de fenêtres et direc­te­ment sur­montée d'un toit de tôle. Même à l'ombre des arbres et sous un peu de vent, la chaleur restait éprou­vante. Alors vous pouvez l'ima­giner, cette cabane était un four.

Nouveau voisin

À l'intérieur, il n'y avait rien. Sandima bricola tout lui-même : la pose de tôle pour empêcher les chiens d'entrer, un système de récu­péra­tion d'eau de pluie, l'élec­tri­cité – prises, inter­rup­teurs, etc. – après qu'il eut tiré un fil depuis la cabane de l'ogre, juste à côté. Parce que oui, l'abbé eut l'ingé­nieuse idée de les placer l'un à côté de l'autre. Il eut été moins dange­reux de faire un feu de camp contre un grand réser­voir d'essence.

Situé à l'autre bout du monastère, j'enten­dais donc par­fois quel­ques déto­na­tions ou de simples gro­gne­ments. J'estimais néan­moins que la pro­mis­cuité semblait ne pas si mal se passer. Il n'y avait ni sang ni fêlure, ce qui restait un miracle, compte tenu de tous les outils de jardi­nage métal­liques dis­posés à cet endroit.

Le mal aimé

Le gamin avait parfois une manière peu appré­ciable de rétor­quer, mais au moins, il faisait tou­jours ce qu'on lui deman­dait, et il me semble qu'on lui deman­dait beaucoup.

L'abbé l'estimait malgré tout “trop déso­béis­sant”. Quelle eut été sa réaction s'il avait eut affaire à un gosse de Mandalé ? Il décida de le mettre à la porte dès la fin de la saison des pluies, durant la­quelle tous les moines sont censés rester dans le même monastère.

À l'instar de tout garçon intelligent, quand on ensei­gnait une chose à Sandima – comme une règle de disci­pline –, il n'avalait pas tout cru, il voulait com­prendre et par consé­quent, il demandait des expli­cations plus dé­taillées. Or, ques­tionner un ensei­gnant est très mal vu, en Birmanie, surtout – et c'est fré­quem­ment le cas – lorsque ce dernier n'a pas la réponse.

Vous devinerez donc au moins en partie pourquoi l'abbé n'aimait pas Sandima, dont le com­por­te­ment monas­tique restait pour­tant en mesure de faire rougir de honte presque n'importe quel moine du pays.

Exploitation

Méchanceté

Un matin de bonne heure, dans le village voisin, fut orga­nisé un banquet de plats tra­di­tion­nels offert à tous les moines et moi­nillons des environs.

moine et moinillon
Afin d'éviter la confusion, sachez qu'on trouve deux types de moines : les bhikkhus (les moines aux pré­ceptes dé­tail­lés) et les samaneras (les moines aux pré­ceptes légère­ment simplifiés, les “moi­nillons”, comme Sandima et moi).

Comme dès l'âge de 20 ans, un moinillon peut passer moine, il n'y a presque que des enfants parmi les moinillons.

Tous les petits samaneras étaient présents, sauf Sandima. Évi­demment, l'abbé lui inter­dit de venir.

Baignade

Je commençais à devenir accro à la bai­gnade dans la mare. Plus tard, je m'y rendais jusqu'à deux fois par jour. C'était si agré­able par cette chaleur, surtout après avoir passé des heures em­ballé dans une robe trempée de sueur.

Toujours plus de travail

Déjà, l'ogre ne fichait rien. Ensuite, il fichait moins que rien, puis encore moins. Avec Sandima, nous devions tout faire nous-mêmes, en plus de la collecte. Heu­reu­sement, nous savions bien cultiver l'art de la rigo­lade. L'humeur posi­tive est sans conteste la plus puis­sante des forces.

L'après-midi, il y a avait souvent des travaux phy­siques à accom­plir, jusqu'à l'heure de notre bai­gnade sportive, ce qui nous garan­tis­sait un profond sommeil la nuit. Les travaux con­sis­taient en di­verses tâches :

  • transport de planches de bois
  • piochage et désherbage pour amé­liorer les sentiers du monas­tère
  • plantage et arrosage d'arbustes

Comme les moines n'étaient pas autorisés à creuser la terre, ce fut à moi et Sandima de pro­céder aux trous à l'aide d'une bêche.

Compromis

L'abbé trouva un compromis avec papa ogre. Il ne venait que bien en retard dans le vieux bâti­ment délabré – au sol penché et rongé par les termites – qui faisait office de salle à manger, mais aussitôt qu'il arrivait, l'ogre ne devait pas rester un instant de plus. Ainsi, le “répri­mandeur” prenait le relais du “gémisseur”.

Suite du récit

Bagarre aquatique