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Mon arrivée dans un petit monastère familial envahi de végétation. Mon quotidien type dans ce lieu isolé, du réveil au couché. Une double ordination. Une rencontre avec un moinillon pas comme les autres. Un moine avec ses bonnes – et moins bonnes – qualités.

Suggestion pour une lecture efficace
Imaginez, vous n'êtes pas sur le Web : effec­tuez des pauses, prenez le temps de réfléchir…

La grotte d’or

100 % pur jus

J'écris chacun de mes récits tels que les événements se sont déroulés, sans arrangement ni agent conservateur.

Préparez-vous à vous immerger dans une sacrée histoire de monastère, une “monastory”, comme je l'appelle…

Début du récit : Le long couloir

Une nature luxuriante

Fin août 2017

À contrecœur, je rassemblai et fourrai dans mon sac mes quel­ques affai­res, sur­tout des robes mona­sti­ques – qui sont de sim­ples rec­tan­gles de tissu.

Ce petit bout de monastère était l'un de ceux dans lesquels il faisait bon méditer. Ma volonté d'endurer ce qu'il y avait à endurer était de mise, mais l'état de la situation dépassa ma capacité d'accep­tation.

Ayant jeté un dernier coup d'œil sur la nature généreuse et variée qui m'entourait, j'allai annoncer ma décision de quitter les lieux sur-le-champ…

Un mois plus tôt…

La joie au cœur, j'approchais du monastère de ce moine sérieux, bien établi dans sa pratique, rencontré huit ans auparavant dans un immense monastère. Il comptait parmi les principaux disciples d'un moine mondialement connu – dans le milieu de la méditation.

Après quelques heures d'auto-stop, de bus-stop et de mobylette-stop, j'entrai dans le monastère de la Grotte d'Or. Situé en pleine nature, le lieu me séduisit aussitôt. Il était entouré de villages, tout en restant bien à l'écart.

À mon arrivée, je ne vis qu'une vieille bâtisse de bois en piteux état, des pentes couvertes de verdure, un garçon et sa mère, qui examinèrent mon allure de fakir avec une curiosité à peine contenue.

Je me crus égaré, car il n'y avait rien qui ressemblait à un monastère, pas même une pancarte en guise d'enseigne. Pourtant, le petit bonhomme me confirma que je fusse bien à la bonne adresse. Il me précisa que l'abbé effectuait sa collecte alimentaire.

abbé
Moine à la tête d'un monastère.

En attendant, il me proposa une visite du domaine, qui m'apparut proche de la perfection. Au vu de la pau­vreté des bâti­ments, les conditions semblaient rusti­ques. Cependant, la végé­tation se révélait d'une richesse rare. À l'instar des arbres et arbustes, les plantes se montraient aussi belles que variées. J'appren­drai que presque toutes offraient des vertus médi­cinales bien précises.

Le gamin me montra un petit ruis­seau dans le contrebas, hélas asséché en cette saison. Plus loin, il me révéla une marre. Il m'indiqua qu'on pouvait s'y baigner, et insista presque pour qu'on s'y immergeât aussitôt. Gen­timent, je déclinai, et nous allâmes attendre l'abbé, non sans avoir englouti du cake et des fruits offerts par la maman.

Comme prévu, l'abbé fut surpris et content de me revoir. Il me partagea son repas, puis m'offrit de m'installer où je le désirais.

Parmi les demeures vacantes, il y avait une maison­nette en ciment, une hutte en bambou tressé, un large débarras et une grotte arti­ficielle. Celle-ci donna son nom au monastère. Or, elle n'avait pas même la couleur de l'or. Jadis, un moine connu pour ses hauts accom­plissements, y vécut des années durant. Aujour­d'hui, on y trouvait un poste de télé­vision, un lecteur de DVD, et une atmosphère de renfermé fort peu salubre.

Finalement, mon choix se porta sur un petit abri entouré de fougères. Il n'y avait qu'un toit posé sur quelques poteaux, mais ce fut bien suffisant, au vu de la chaleur présente, y compris la nuit. Et par chance, les mous­tiques n'attaquaient presque pas.

Outre d'innombra­bles créa­tures de toutes sortes, le monastère abritait dix humains : trois moines, trois vieux méditants, la mère de l'abbé, celle du garçon, le garçon et moi.

Information culturelle

Dans les monastères birmans de taille modeste, il est fréquent que l'un ou les deux parents de l'abbé y demeurent. Dans la société birmane, selon une règle culturelle profondément ancrée, chaque individu a, une fois adulte, le devoir de subvenir aux besoins de ses parents.

Ainsi, même un moine, quand il le peut, fournit à ses parents loge­ment et nourriture. S'il ne le peux, il doit défroquer et trouver un emploi, “cher­cher de l'argent”, comme on dit ici.

Les parents sont héber­gés séparément, car il n'est pas pen­sable, dans un monastère, qu'un couple loge sous le même toit.

Parfois, le père devient moine, souvent, il se charge de tâches diverses, tel que le jardinage. Typiquement, la mère prend la direction de la cuisine, quand ce n'est pas celle du monastère tout entier !

Quotidien type

3h58

On frappe la longue cloche en bois. Il n'y a pas d'urgence, j'attends un peu avant de me lever… et pouf ! je me rendors jusqu'à 5h12.

5h12

Cinq minutes de yoga, rinçage du visage et méditation.

6h02

La cloche de bronze annonce le petit-déjeuner. Bouillie de riz avec haricots rouges aux oignons, mangue, ananas, biscuits, sachets de thé au lait ou de café au lait.

6h54

Le moment est venu de partir collecter la nourriture avec le bol. Tandis que les autres s'apprêtent à partir dans un des villages voisins, l'abbé et moi marchons, le regard collé au sol, l'esprit en méditation, jusqu'à la route. Ensuite, nous la longeons en atten­dant qu'une âme bien­veillante nous con­duise en ville. Le plus souvent, il s'agit d'un tricycle motorisé, qui file à peu près à la vitesse d'un homme qui court.

Comme moi, l'abbé est sensible à l'alimen­tation saine. Il m'a expliqué que dans les villages, les gens sont mal infor­més, ils con­somment beaucoup d'ali­ments industriels, presque pas de fruits, et ils noient d'huile et de piment tous les plats.

L'abbé a des bienfaiteurs généreux qui rem­plissent rapi­dement nos bols. Souvent, nous laissons des sacs de fruits et gâteaux à un endroit que nous récupérons en fin de collecte tant nous sommes chargés. Nous avons alors de quoi nourrir tout le monas­tère.

9h36

De retour, avec le petit, nous ramassons des champignons dans le mo­nas­tère, la grand-mère en fera une déli­cieuse soupe. Une fois, nous avons cueilli un plein sac de fleurs sur les cactus, presque autant d'épines dans les mains, et ce ne fut pas terrible à manger.

9h55

Je balaie les escaliers devant mon abri et casse quelques branches qui gênent le passage – surtout avec un parapluie ouvert. L'abbé laisse tout pousser ici, comme moi avec mes cheveux.

10h13

Douche à l'ancienne, c'est-à-dire en prenant l'eau d'un réservoir à l'aide d'un récipient. Comme je préfère me doucher “à l'occi­dentale” qu'“à la birmane”, bien qu'il n'y a personne à l'horizon au moment où je me douche, l'abbé a fait accrocher de vieilles robes tout autour, de crainte qu'on puisse aper­cevoir cette chose si taboue ici.

10h42

La cloche appelle au repas. En plus du riz – presque toujours froid en Birmanie – et de légumes dans le bol, on a chacun une tasse de soupe. Il y a aussi des morceaux de viande et des poissons séchés frits, mais pas à ma table, car à l'inverse des autres, je suis végé­tarien. Circulent également des pla­teaux avec des fruits, biscuits, lait concentré, sachets de café, etc. Les moines se servent et me font passer le tout. Quand je suis servi à mon tour, je fais suivre aux autres.

11h33

Le bol lavé, je me repose un peu, sans dormir nécessairement.

13h39

Avec le smartphone que l'abbé m'a prêté, j'écris mon quotidien, que j'envoie par mail à quelques connaissances.

14h51

J'entends un ricanement. C'est le gamin qui s'amuse à m'épier. Nous discutons de choses et d'autres, et il m'interroge abon­damment sur la France.

16h36

On m'apporte un grand verre de jus d'aloé véra fraîchement coupée. Il n'est pas sucré, mais bon pour la santé.

16h40

Méditation marchée.

17h00

Méditation assise.

17h46

Méditation marchée.

18h03

La cloche indique qu'il est temps de regagner la grande salle. C'est l'heure des réci­tations. Pas du tout ma tasse de thé, mais je m'y présente pour faire plaisir à l'abbé.

18h27

Comme il n'y a rien dans mon abri, j'utilise les toilettes et l'évier de la kuti de l'abbé. Quand l'eau n'arrive pas, je vais en chercher dans le réservoir à l'aide du seau.

kuti
Mot pali  Cabane individuelle servant à la fois au logement et à la méditation.

La kuti de l'abbé est plutôt une petite maison en dur, avec une partie ouverte.

18h55

Discussion avec l'abbé.

20h38

Méditation marchée.

20h50

Méditation assise.

21h35

Repos, avec réflexions diverses, puis dodo.

Tradition monastique

Dans les monastères birmans, se trouvent souvent une cloche de bois allongée, qui n'est autre que le tronc d'un arbre (rarement bien gros) évidé. Pour rassembler les résidents du monastère, on frappe le bois à l'aide d'un marteau également en bois, ou d'un bâton épais qu'on avance per­pen­dicu­lairement contre la cloche.

Traditionnellement, on commence par donner des coups de plus en plus rapprochés et de moins en moins forts, puis on termine par quelques paires de coups forts, le nombre étant propre à chaque monastère.

Deux têtes rasées

La broussaille qui me servait de chevelure et de bar­bichette semblait irriter les yeux des gens. Quoi qu'on leur assurât sur le sérieux de ma pratique, ils ne voyaient en moi que du nocif et du répulsif.

Les Birmans associent un crâne et un menton bien rasés à la pureté inté­rieure. Faudrait-il qu'ils effectuent un stage chez les légion­naires ou les skinheads pour cons­tater que le rasage ne suffit peut-être pas à conférer paix et vertu ?

D'après ce que j'ai pu entendre de mes propres oreilles à différentes reprises, on pensait seulement, dans le meilleur des cas, que j'étais un fou errant. Dans ce pays, il faut bien le dire, ceux qui portent la toge ascétique sont souvent des individus men­ta­lement dérangés.

Je pensais alors que de reprendre la robe mona­stique me faci­literait bien les choses. Le renonçant n'est pas celui qui cherche la facilité, mais pas non plus celui qui vise la diffi­culté. S'il renonce à tout ce qui n'est pas indis­pensable, il évite les situ­ations extrê­mes.

À l'inverse de la grande école que j'avais quittée, ce lieu recélait de conditions opti­males à la vie monacale.

Trouver une robe monastique n'était pas le problème ; dans les débarras de tous les monas­tères, elles pour­rissent par dizaines, et les bien­faiteurs se battraient presque pour en offrir une neuve à un nouveau moine, surtout un blanc.

Le problème se trouvait plutôt planté sur ma tête. Les cheveux ont cela de vicieux que plus ils sont longs et plus on a tendance à s'y attacher. Mon senti­ment pour ces longs poils emmêlés, était devenu au moins assez ténu pour que je pusse lâcher cette prise.

Voilà ce qui est bien dans la vie de renon­çant : un travail constant sur les petits atta­chements qui subsistent, pour un esprit toujours plus libre.

On peut aussi, certes, avoir des cheveux sans y être attaché, et dans l'autre sens, être attaché à un crâne qu'on veut toujours lisse.

Le gamin, qui avait douze ans et demi, hésitait depuis un certain temps à goûter à la vie monas­tique, mais ne semblait pas pressé. Il serait bien, pensais-je, que nous prenions les préceptes en même temps. Ainsi, quand on me de­man­dait – comme cela arrivait tout le temps – si je ne voulais pas prendre la robe, cette fois, je répondis sim­plement :

  • Aussitôt que le petit la prendra !

Comme l'on put s'y attendre, les yeux s'écar­quillèrent de joie. Même l'abbé sembla soulagé. Craignant que je changasse d'avis, il fut sur le point de presser le gamin, mais ce ne fut pas nécessaire.

Trop impa­tient de voir ma face débar­rassée de toute végétation capillaire, le pré-ado se décida sur-le-champ.

14 août 2017

Sitôt après le petit-déjeuner, avant de filer à la collecte ali­mentaire, sans céré­monie ni prépa­ration, l'abbé demanda aux vieux méditants de nous raser la tête et nous donna vite fait les pré­ceptes de samanera.

samanera
Mot pali  Moine de “version allégée”.

Pour l'ensemble de la communauté monas­tique, la disci­pline est iden­tique, à l'exce­ption de certains détails. Par exem­ple, le samanera est autorisé à con­server de la nourri­ture (mais pas d'en con­sommer après midi et avant l'aube).

J'avais déjà mon nom Dhamma, tandis que le petit fut baptisé Sandima. Sa mère était absente, car depuis quelque temps, elle ne résidait plus au monastère.

candima
Mot pali  Lune. Comme les Birmans prononcent ce mot “sandima”, je conti­nuerai de l'écrire ainsi.

La mère de l'abbé me demanda la per­mission de récu­pérer mes cheveux. Je fus bien surpris qu'une vieille Birmane s'y inté­ressât, quand je réalisai qu'il s'agissait de les vendre à un perru­quier. J'appren­drais ensuite qu'ils étaient inven­dables, car bien sûr, trop emmêlés.

Tradition monastique

Comme les Birmans font partie de ces peuples férus de céré­monies, les monas­tères, de façon inévitable, en sont inondés.

La procé­dure d'inté­gration des moines ne né­cessite rien de plus que la nôtre (avec Sandima). Or, cela donne géné­rale­ment lieu à un évé­nement festif de grande envergure où participe tout le village (ou le quartier) : longue pro­ces­sion, musi­ques, danses, dégui­se­ments, offrandes…

Cette cérémonie, appelée “Shinbhyu”, qui concerne surtout les enfants, voire de jeunes hommes, symbolise la ri­chesse et les plaisirs auxquels Boud­dha avait renoncé lorsqu'il était prince. Ainsi, le futur moine ou moi­nillon est traité comme tel : il est ma­quillé avec soin, richement vêtu, paré de bijoux, coiffé d'une couronne, protégé du soleil par une ombrelle main­tenue au-dessus de lui et, en tête du cortège, il circule ins­tallé sur, selon les moyens de sa famille, par ordre dé­croissant :

un éléphant, un cheval blanc, un che­val ordi­naire, une vache, un âne, un homme.

Sandima

Avec Sandima, le courant passait, même s'il y eut parfois des étin­celles. Se retrouver sous le même statut contribua à nous rappro­cher. Doté d'une sagacité exce­ption­nelle, de nom­breuses qualités et, de surcroît, d'un désir de tout comprendre de façon claire, il fut un compa­gnon idéal sur la voie de la sagesse. Il était l'exemple parfait pour montrer que la maturité spiri­tuelle n'est pas une question d'âge.

Avec lui, nous parlions surtout de vie monas­tique et de dhamma en général.

dhamma
Mot pali  Ensemble des choses telles qu'elles sont, mais aussi, ensemble des comportements physiques et mentaux conduisant à une vue juste et profonde de la réalité.

Ce petit pétait de vie et de joie. Il avait toujours le sourire et s'amusait de tout, sans jamais s'ennuyer un instant. Cependant, il res­pectait ses préceptes à la perfection, y compris les 75 sekiyas, à l'excep­tion peut-être de quelques-uns, en mangeant, mais il y travaillait.

sekiya
Mot pali  Règle de bonne conduite pour les moines, dont les samaneras. Exemple : En se déplaçant dans une zone habitée, maintenir le regard en bas.

Il existe 227 règles monastiques réparties en huit sortes, dont les 75 sekiyas.

Outre le fait de tout comprendre au quart de tour, ce garçon s'in­téressait même à la façon d'enseigner le dhamma aux gens. Je le voyais bien devenir un maître de médi­tation.

Chaque fois que je décelais une imper­fection chez mon jeune ami, je lui en faisais part et il se corri­geait aussitôt. Bien sûr, il en faisait de même avec moi. Nos clowneries à propos de nos 95 règles donnaient lieu à de sacrés fous rires. C'est ainsi que nous faisions de l'entraî­nement monas­tique un vrai jeu d'enfant.

Il avait une robe trop grande, donc bien diffi­cile à mettre et à porter. Il se trouvait une machine à coudre ancienne, au monastère. Je ne fus pas sûr de savoir l'utiliser, mais je tentai tout de même de raccourcir un peu cette robe, tant bien que mal.

Finalement, Sandima s'acharna à com­pren­dre le fonc­tionnement de la machine par lui-même et ne tarda pas à fort bien se débrouiller. il trouva de vieux bouts de tissu à l'aide desquels il se confectiona sac, ceinture et carré d'assise.

carré d'assise
Pièce carrée en tissu (environ 80 x 80 cm) que les moines portent pliée sur l'épaule, et qui se destine à être posée sur le sol afin qu'ils puissent s'asseoir sans salir leur robe.
Avertissement

Faire l'étalage des comportements déplacés des uns et des autres n'est pas mon hobby. Nous avons tous nos défauts et nos aveu­glements.

Le portrait que je dresse dans le chapitre suivant (et sur d'autres pages) a pour seul but de montrer aux lecteurs les cou­lisses des monas­tères, en toute sim­pli­cité et fran­chise, donc sans se limiter aux qualités appré­ciables. Je trouve éga­lement que les rela­tions humaines sont toujours inté­ressantes à étudier.

L'arbre rigide

Si l'abbé était plein de bonnes intentions, il avait néanmoins la rigidité d'un militaire. Il percevait la vie monas­tique comme un ensemble de principes sacrés indis­cutables.

Jour après jour, de plus en plus fré­quem­ment et avec de plus en plus de fermeté, il faisait tomber ses remarques, tran­chantes et peu expli­catives. Comme une pluie froide qui débute avec douceur, puis finit par vous tremper complètement.

Au lieu de rester imperméable, je prenais tout à cœur, et me résolus à l'irré­pro­chabilité. J'étais familier de la disci­pline monas­tique pour avoir traduit des livres sur ce sujet. Mais le hic, c'est qu'il existe des commen­taires, sous-commen­taires et sous-sous-commen­taires de ces règles – dont les sources sont pourtant réfutables.

C'est un labyrinthe sans fin. Pour une certaine règle, il existe des exceptions, mais sauf dans tels cas, à part s'il s'agit de telle situation, etc. Un dicton birman résume bien ce problème :

Dicton birman

À l'aide d'une bonne connaissance des règles monastiques, on peut tuer un poulet.

Alors naturellement, plus je me forçais à la perfection, et plus l'abbé me foudroyait de ses réflexions désobligeantes. Cela ne concernait que des détails insignifiants. Ce pouvait être la façon de poser son bol, de mettre la nourriture dans sa bouche, de tenir sa robe en la fermant. Exemple, l'abbé m'appela et m'interrogea :

  • Pourquoi vous avez retiré vos sandales en arrivant dans le monastère de ce matin ?
  • J'ai toujours pensé qu'on était autorisé à être chaussé dans un monastère. Mais vous n'avez expliqué qu'en rendant visite à un autre monastère que le sien, on est tenu de se déchausser avant d'y entrer.
  • Mais j'étais avec vous. Et comme j'ai gardé mes sandales, vous auriez dû faire comme moi !
  • J'en prends note, Vénérable. Mais ce ne serait pas mieux si on ne prenait carrément pas nos sandales, puisqu'un moine ne doit pas être chaussé lorsqu'il se rend à l'extérieur ?
  • Il suffit de considérer que le chemin est trop dangereux pour les pieds nus, alors il n'y a pas de faute.

Si je cherchais à trop argumenter, l'orage éclatait et il trouvait toujours des histoires qui prouvaient soi-disant que j'avais tort. Dans ces conditions, je me résignai ensuite à accepter ses réflexions en silence. Je comprenais pourquoi son monastère était vide, pourquoi il n'avait presque pas de disciples et pourquoi les visiteurs étaient si rares à s'aventurer ici, alors que les monastères proches de villages sont d'habi­tude si vivants.

Pour rester honnête, disons que cet abbé avait au moins le mérite d'être un moine sérieux, ce qui fait fuir bien des gens, qui préfèrent souvent paresser et s'amuser. Mais manifestement, il est rare de trouver des êtres qui ont assez de sagesse pour réunir sérieux et souplesse intérieure.

Métaphore connue

Sous une tempête, le grand arbre peut se briser, mais le roseau, se laissant juste courber un moment, demeure indemne.

Si le domaine demeurait déserté, ce dut être une aubaine pour méditer en toute quié­tude, me diriez-vous. Pas vraiment.

Je goûtais parfois au bonheur d'une méditation paisible, dans le calme des bois alen­tours, mais une bonne partie du temps, l'abbé allumait deux hauts-parleurs, dont l'un dirigé en plein vers mon abri situé tout proche. Le bouton du volume à son maximum, se répandait dans les environs un mélange de gré­sillements et d'ensei­gnements du grand maître, que personne ne voulait entendre dans de telles con­di­tions. Comme vous pouvez vous en douter, il était fort mal venu de s'en plaindre, ce que bien entendu, je fis.

Mon endurance devait être encore faible à l'époque, car il me devint difficile de le supporter. La goutte qui fut déborder le vase fut lorsqu'il me compara à Devadatta, le plus mauvais moine de l'histoire.

Celui-ci tenta de tuer Bouddha, mais avant, entre autres, lui demanda d'imposer le végétarisme pour tous les moines. Cela non pas par compassion, mais dans le but de diviser la communauté monastique. L'abbé déclara le fait que je sois végétarien comme une exigence qui ne faisait que causer des ennuis à ceux qui me donnaient la nourriture. Vous pouvez l'imaginer, ce sujet constitue un débat qui ne finira sans doute jamais.

Ma colère lui éclata en pleine face. J'allais récupérer mes affaires, puis, déçu de quitter un si bel endroit, je retournai vers lui, me prosternai comme l'exigeait la politesse, puis lui indiquai juste que je m'en allais.

Il resta silencieux, puis partit. Sandima restait à côté de moi, tout attristé. L'abbé alla seul à la collecte, non sans avoir, en passant, envoyé sa mère pour me parler.

Suite du récit

Le chasseur de fantômes