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Une vision différente sur le travail des enfants en Birmanie, mais aussi sur l'école, et le cas de notre cher petit Sandima (et son caractère incontenable).

La pratique du silence et ses nombreux avantages, et l'histoire d'une robe monacale de haute qualité.

Suggestion pour une lecture efficace
Imaginez, vous n'êtes pas sur le Web : effec­tuez des pauses, prenez le temps de réfléchir…

Travail des enfants

100 % pur jus

J'écris chacun de mes récits tels que les événements se sont déroulés, sans arrangement ni agent conservateur.

Début du récit : Le long couloir

Feuilleton

Il se passait toujours quelque chose, ici. Qui l'eut cru, dans un petit monastère de cam­pagne d'apparence si paisible ?

J'imagine que le lecteur peut percevoir cette “MonaStory” comme un véritable feuilleton. Si je n'avais pas renoncé à mes caméras, j'aurais pu fournir, à une chaîne de télé­vision, matière pour une émission de télé-réalité.

Avant de nous plonger dans de nouveaux évé­ne­ments théâtraux du monastère de la Grotte d'Or, laissez-moi vous parler encore un peu de Sandima, de silence et d'une his­toire de robes monacales…

La vie de Sandima

Une vie sans école

Ce petit bonhomme de 12 ans et demi bourré de qualités bien appré­ciées, était, comme c'est fréquent en Birmanie, issu d'une famille pauvre. Avant de prendre la robe monacale, il assista pendant un an son beau-père dans la fabri­cation de portes et fenêtres au monastère, pour le bâti­ment principal – employé pour les cérémonies.

Auparavant, et ce, dès l'âge de sept ans, il quitta l'école pour tra­vailler dans plusieurs cafés en tant que serveur pour subvenir aux besoins de sa mère, alors seule. Son salaire mensuel s'élevait à environ 27 € à peine. Les enfants sont nette­ment moins payés, et ce n'est pas la loi qui le stipule, puisqu'il est offi­cielle­ment interdit de faire tra­vailler des mineurs.

Cependant, de partout, on voit des enfants qui travaillent : ateliers de con­fe­ction à la main, cueil­lette du thé, vente sur les mar­chés. Bien qu'ils le choi­sis­sent rare­ment eux-mêmes, nombre d'enfants préfèrent une vie active que de rester enfermés à 150 dans une salle de classe à 40 °C sans venti­lateur, trempés de sueur, forcés d'appren­dre par cœur des textes dépassés et ennuyeux que même leurs pro­fes­seurs ne com­pren­nent pas.

L'école de la vie

Sandima était un garçon si débrouillard, si courageux, si épanoui, si doué en toutes disci­plines, si étonnant par sa culture gé­né­rale si vaste pour son âge, et si plein d'atten­tion, d'idées et d'humour.

Quand je songeais à tous ces écoliers – ou étudiants – fainéants, inté­ressés seule­ment par Facebook ou les jeux vidéo, il n'y a pas lieu de com­pa­raison. Ceux-là ne con­nais­sent rien, sauf qu'ils peuvent réciter d'un trait des textes sur les travaux d'Euclide ou de Pytha­gore. Par contre, si on leur demande “12 + 8 = ?”, ils comptent avec les doigts.

Le pro­blème, c'est que souvent, les moines fonc­tionnent à l'iden­tique con­cer­nant le boud­dhisme, qui selon moi, se trouve déjà loin de la bien pré­cieuse sagesse que Bouddha nous a légué à travers ses ensei­gne­ments. Pour en revenir à nos jeunes moutons, je songeai alors :

  • Vraiment, ce n'est pas par les études qu'on apprend à devenir un homme ou une femme accompli(e) et utile à la société.

Et ici, je ne fis pas même allusion au déve­loppe­ment spiri­tuel.

Cochon et insolent

Cependant, comme Sandima n'était pas encore un Éveillé, il n'était pas sans défaut.

éveillé
Un tel individu n'éprouve plus la moindre attrac­tion ou répul­sion pour quoi que ce soit. Ayant acquis une vision sans faille de la réalité, il ne commet plus le moindre acte nocif.

Il mangeait comme un cochon – ses efforts de bien faire ne durè­rent guère –, il répon­dait aux remon­trances, et d'une manière géné­rale, il tendait à traiter les adultes comme des gamins de son âge.

D'ailleurs, hier nous nous sommes rudement fâchés. J'essayais pourtant de rester gentil et patient, endurant même, mais son atti­tude parfois hautaine et insolente eurent raison de mon système nerveux.

Incapable de garder en deçà de 100 °C mon sang médi­terra­néen, je lui criai de “se la fermer” et me retins de ne pas le secouer comme un cep pour en faire tomber les raisins de la colère.

Cela se produisit en pleine collecte en ville, avec l'abbé. Celui-ci n'épargnait aucune remarque lorsqu'il entendait le moindre ricane­ment. Bien qu'il fut évident qu'il nous entendit nous fritter verbale­ment, il feignit de ne s'être aperçu de rien.

En dépit de tout, j'éprouvais de l'affection pour Sandima qui, le matin suivant, comme si de rien ne fut, affichait son habituel sourire rayonnant. Néan­moins, je décidai de ne plus lui parler, mais seu­le­ment au sens propre du terme.

Silence

Demi silence

Suite à ma friction avec Sandima, mais aussi à mon obser­vation de toutes ces per­sonnes déprimées baignant dans les dis­putes à perpé­tuité, je décidai dès aujour­d'hui, de maintenir le “Noble Silence”, ou disons, de ne parler que lorsque ce serait vrai­ment néces­saire, donc presque jamais.

En tout cas, rien qu'après une demie journée, je perçus déjà les bienfaits de cette pratique que je n'avais plus obser­vée depuis long­temps. Toute­fois, ce ne fut pas encore du vrai silence, puisque j'écrivais sur des mètres le premier jet de ce récit.

Observant chaque moment où je me serais apprêté à ouvrir la bouche, je constatais que la plupart du temps, mes paroles étaient inutiles, dis­trac­tives, destinées à faire rire, à critiquer, et par consé­quent, suscep­tibles d'engen­drer malen­tendus et conflits.

En outre, dans le silence, mon esprit était tout disposé à la vigilance, à la tran­quil­lité, à la vertu et, cerise sur le gâteau, un sen­ti­ment de bien­veillance régnait natu­relle­ment. C'était comme si la machine à parler lui faisait obstacle quand elle était en marche.

Le silence n'était que dans la parole, pas dans l'action. Je conti­nuais donc, sans mot dire et sans maudire, d'aider quand je le pouvais.

Rapidement, je vis que la pratique du silence avec l'option “parler seule­ment quand c'est né­cessaire” ne convenait pas. Le petit bavard qui venait souvent vers moi ne faci­litait rien. Il m'adressait toujours des questions ou des affir­mations qui m'inci­tèrent à intervenir.

Silence total

Il m'a donc fallu décider, en cette nouvelle lune de septembre, de me taire com­plète­ment – exception faite de la prise des pré­ceptes heb­do­madaire.

La pratique du silence total est un pur délice ! À essayer dès que vous le pouvez. La pratique du silence est pleine d'avan­tages. Bien sûr, pour être fruc­tueuse, cette pratique du silence devrait s'inscrire dans le cadre de l'isole­ment et de la méditation.

Avec un moinillon me tournoyant autour avec l'énergie d'un électron, mon côté joueur s'en trouva forte­ment stimulé. Bien que je me limi­tasse à l'emploi de gestes et mimi­ques, je demeu­rais presque autant loquace qu'avec la parole.

Si certains rencontraient tout le mal du monde à déchiffrer mon langage des signes, Sandima captait tout.

Au début, je gardais un stylo et du papier sous ma ceinture, mais je n'en eus pas l'utilité.

L'abbé ne m'écoutait à tel point pas quand je parlais qu'il fallut quatre jours avant qu'il se rendît compte de ma pratique du silence.

Un gosse explosif

Une fois, pendant notre collecte, avec San­dima, nous nous frittâmes encore. Oui, même limité au mime, ce fut possible, sûre­ment cause de l'irri­tation exa­cerbée par la frus­tration de ne pouvoir dire direc­tement les choses. Je compris donc que le silence dut aussi s'appli­quer aux gestes.

Je décidai alors de le laisser faire tout ce que bon lui semblât, désor­mais, pour les raisons suivantes :

  • Je détestais me fritter.
  • Je n'étais pas venu ici pour éduquer un gosse entrant en crise de l'ado­les­cence.
  • Il était suffisamment malin pour savoir ce qui était conve­nable ou pas.
  • À son âge, il avait aussi un grand besoin de s'amuser.

Quoi qu'il en fût, le mieux était de ne rien forcer, d'accepter les choses comme elles étaient.

Métaphore

Mieux vaut surfer en souplesse sur et avec la vague, plutôt que tenter de la con­trô­ler et de s'en prendre plein la figure.

Sandima restait tout de même un petit gars rai­son­nable et quand besoin était, il savait se montrer délicat. En pré­sence d'inconnus, il incarnait le samanera parfait.

Un moine de luxe

Trop belle pour moi

L'un des matins suivants, en marchant vers un village, je me sentais dans la peau d'un homme riche avec son nouveau costume trois pièces sortant fraî­che­ment de chez le tailleur.

Au réveil de ce matin-là, bien que le jour ne fut pas encore levé, je pus dis­tin­guer une pièce de tissu sur le chemin, devant mon abri.

  • Tiens, le vent aurait-il fait choir mon carré d'assise ? Je croyais pourtant bien l'avoir mis dans le sac.

En ramassant ledit tissu, je vis qu'il s'agissait d'une robe monacale – haut & bas – de qualité excep­tion­nelle, toute neuve, valant au moins vingt fois le prix d'une robe ordi­naire. Le tissu se compo­sait de fibre tirée de pulpe de bois. L'éti­quette vantait :

  • Plus absorbant que le coton, plus doux que la soie, plus frais que le lin.

Je voulus ajouter :

  • Si léger qu'on a la sensation d'être nu !

J'étais pris dans un drôle de paradoxe. Depuis le premier jour de ma vie monas­tique, en 1998, je n'eus porté que des robes aban­données, refusant celles qu'on m'offrait en mains propres. Con­naissant ma pratique, ce fut de toute évidence l'abbé qui vint dis­crète­ment jeter sur mon chemin cette robe. Comme je l'appren­drais, celle-ci lui fut offerte en double par un riche bien­faiteur, ce qui fit qu'il possédait la même.

Bouddha a dit

Est digne de vénération le moine qui se contente de se vêtir des haillons qu'il trouve, qui se nourrit des restes que les gens versent dans son bol, qui se contente du pied d'un arbre pour rési­dence et de l'urine de vache pour médi­caments.

Attachements

J'aimais bien ma vieille robe recousue par endroits, sans que je sour­cillasse si un clou rouillé et huileux la trans­perçait. Avec ma robe de riche, je serais tendu à la moindre goutte de sirop. Je vis donc vite l'incon­vénient des choses chères.

Dans le renoncement, la moindre acqui­sition est une oppor­tunité de sonder et déceler ses attache­ments les plus subtils. La plus grande attache que je décou­vris alors ne résidait pas dans ma nou­velle robe en pulpe de bois, mais dans ce dont je venais de me retrouver privé : le fait d'apprécier les choses usées. Cet attache­ment para­doxal a tout de même ses limites ; il serait bien stupide, par exemple, de rester dans un bruit per­sistant par crainte de déve­lopper de l'attache­ment au silence.

Je me défis de ma vieille robe recousue, car je me limitais à trois pièces de tissu vesti­mentaires.

Porter une robe à un prix insolent pour la Birmanie, put être une rude épreuve pour moi. Vous imaginez un peu ? Un ascète dans l'âme avec une appa­rence de moine bourgeois…

Un bon exercice pour se défaire de l'attache­ment à sa propre appa­rence.

Proverbe français
L'habit ne fait pas le moine.

De même, l'habit de luxe ne fait pas le moine de luxe. J'étais drapé dans une robe luxu­euse, mais je marchais chaque jour des kilo­mètres pieds nus sur des gra­villons pointus. Là où je vivais, il n'y avait rien d'autre que de la végé­tation et des insectes.

Cependant, mon esprit était riche, car il était libre, léger comme l'air.

La raison en était simple. Je tâchais, peu à peu, mais sûre­ment, de cultiver les com­porte­ments favo­rables du corps, de la parole et de la pensée, en évitant autant que possible leurs con­traires défa­vo­rables.

Suite du récit

Un binôme parfait