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Les moines sont loin d'avoir un comportement monastique. En un seul voyage, j'assiste à un tableau représentatif de la – bien triste – situation générale.

Pourquoi en est-il ainsi ? Comment devraient être les moines ?

Suggestion pour une lecture efficace
Imaginez, vous n'êtes pas sur le Web : effec­tuez des pauses, prenez le temps de réfléchir…

L’ignoble sangha

100 % pur jus

J'écris chacun de mes récits tels que les événements se sont déroulés, sans arrangement ni agent conservateur.

Début de ce récit : Loin des pluies

Riz froid

sangha
Mot pali  Communauté monas­tique fon­dée par Bouddha.

Les moines forment une commu­nauté pour les choses pratiques, mais de­meu­rent soli­taires dans leur pratique.

Mangeriez-vous volon­tiers du riz froid de bon matin, vers 5h30 ?

Moi, j'ai du mal, d'autant plus qu'ici, on a déjà du riz tous les jours au déjeu­ner. S'il n'y a pas de nouilles ou de bouillie aux pois, je me con­tente de bis­cuits, avec un thé lacté. Alors, pour le petit-déjeu­ner du len­de­main, je stocke les petits gâ­teaux qu'on me donne durant la collecte ali­mentaire. Tel est un autre avan­tage d'être samanera.

samanera
Mot pali  Pour rappel, il s'agit de la version allé­gée du statut de moine. Ils sont toute­fois as­treints à tous les pré­ceptes impor­tants de la vie mona­cale.

Les bhikkhus, moines lourds, si j'ose dire, ne peu­vent pas conser­ver de nourri­ture après midi.
bhikkhu
Mot pali  La version pleine du statut de moine. Par rapport aux samaneras, ils sont as­treints à toute une pano­plie de détails supplé­men­taires.

Il faut être âgé d'au moins 20 ans pour devenir bhikkhu. Hélas, passé cet âge, les moines accèdent systé­mati­que­ment à ce statut, alors qu'ils sont déjà presque tous incapables de suivre la disci­pline de la version légère.
Les anciens bols

J'adore récupérer les choses que les autres ne veulent plus. C'est donc le cas de quel­ques-unes de mes posses­sions, dont mon bol. Je l'ai trouvé en parfait état, jeté par un moine qui ne l'aimait pas, car il est laqué.

Lors de mes premières années en Bir­manie, tous les bols étai­ent comme celui-là, mais de nos jours, on n'en trouve plus. Ils me plaisent, car ils sont légers et la cuillère ne grince pas, con­trai­re­ment aux bols métal­liques.

Avertissement

Sur cette page, je critique copieuse­ment les moines, qui dans l'en­semble se mon­trent cepen­dant très courtois et géné­reux avec moi. Il m'importe d'avoir l'honnê­teté de dire les choses telles qu'elles sont. Je ne juge pas ; je ne fais qu'exposer ce que j'ai vu au quoti­dien, tandis que j'ai vécu près d'un quart de siècle dans des monas­tères de tous types à travers toute la Birmanie. Je suis sûr qu'il n'y a guère de diffé­rence avec les autres pays boud­dhis­tes, bien que je ne m'y sois que peu rendu, et même dans les autres reli­gions, chez les chamanes et autres sorciers.

La plupart de ces gens qu'on appelle "des moines" ne sont que des "âmes égarées". Incons­cients de leurs erreurs, ils se com­por­tent ainsi uni­que­ment parce qu'ils ont été condi­tion­nés dès la nais­sance. Seuls ceux qui sont pourvus d'une maturité spiri­tuelle excep­tion­nelle peuvent en sortir.

Attention : toute ma critique des moines prend appui sur le com­por­te­ment auquel ils sont tenus. Il convient de garder à l'esprit que, comparé à un Européen moyen, un moine moyen reste un individu vertueux, assez serein, sobre, bien­veillant et capable de se con­tenter de peu.

Métaphore de la brindille

L'insecte-bâton. Comme celui qui est déguisé en moine, il a exac­te­ment la même appa­rence qu'un vrai bout de bois.

Quand je trouve une brindille accro­chée à ma robe, je la prends puis la jette à terre. En la voyant grim­per le mur, je com­prends qu'il s'agit d'une fausse. La même chose si vous voyez un moine qui fume.

La comédie religieuse

On frappe à ma porte à l'aube.

  • On est invités à l'extérieur pour le petit-dé­jeu­ner !
  • Un instant, j'arrive !

Le temps de passer aux toilettes et de mettre mes robes et je sors. Une camion­nette passe devant moi et quitte le monas­tère. En m'aper­cevant, un type m'indique :

  • Ils viennent tous de partir.

Après une heure de méditation, je les entends revenir. Ils se rendent à une autre invi­ta­tion, mais avec moi cette fois. Vous devez sûre­ment vous de­mander :

  • Pourquoi accepter une deuxième invi­tation tout de suite après avoir déjà mangé ?

Vous ne devinez pas ? Alors voilà un indice… À l'issue de ces invi­ta­tions, les donateurs dis­tri­buent de belles enve­loppes…

Bouddha a établi :

– Un moine ne doit pas accepter plus d'une invi­ta­tion à manger par jour.
– Un moine ne doit pas accepter, ni posséder, ni uti­liser d'ar­gent.

Le moine est celui qui pratique le renonce­ment de façon com­plète. Il prend donc grand soin d'éviter toute accu­mula­tion, et tout parti­culiè­rement d'argent.

En arrivant, nous prenons place dans un salon. Assis en face de nous, une trentaine de dona­teurs, dans leurs plus beaux vête­ments et parures. Ils se pros­ter­nent. La robe fermée sans un faux pli, les moines affi­chent un visage grave, plus sérieux que jamais. Ils miment le renon­çant parfait, ceux-là même qui, dans le monastère, un bout de robe en guise de short, jouent au foot sur le rythme de chansons à plein volume, tout en mâ­chou­illant du bétel.

Les gens ne sont pas dupes, mais ils veulent rêver. Ils aiment ima­giner qu'ils ont des êtres nobles en face d'eux, exac­tement comme dans les his­toires qui se dérou­lent au temps de Bouddha et qu'on leur ra­conte depuis qu'ils sont bébés.

C'est un peu comme un homme qui pré­fère regar­der sa femme quand elle est bien ma­quillée, donc regarder des produits arti­fi­ciels plutôt que sa femme telle quelle. Maquillage vient de masque.

Ils récitent quelques soutras, dont le fameux Mettã Sutta, sur la bien­veil­lance, sur un ton si lugubre. Je n'arrive pas à ima­giner quelque chose de moins natu­rel que cette sini­stre comédie religieuse.

C'est dans ces moments-là que j'ai envie de défroquer aussi promp­te­ment que si ma robe était couverte de scor­pions. Je voulais seule­ment inté­grer une noble commu­nauté de renon­çants. Mon senti­ment, c'est de m'être trompé d'endroit, d'être tombé dans une secte de super­sti­tieux. Je ferais bien de rede­venir sans tarder un élec­tron libre.

Ensuite, l'abbé prononce un discours sur les mer­veilleux avan­tages d'offrir des robes aux moines, que tout le monde a entendu des cen­taines de fois. C'est dommage, les moines ne font jamais de dis­cours sur la défi­nition que Bouddha donnait d'un noble moine – et qu'ils con­naissent pourtant par cœur –, ou sur le bonheur et les avan­tages de se conten­ter de peu. La saleté est cachée sous le tapis.

L'abbé insiste sur le caractère noble de la commu­nauté monas­tique. Je m'inter­roge alors sur la no­blesse dans la manière de tenir une cigarette, de liker toutes les fake news de Face­book, de faire la sieste du déjeu­ner jus­qu'au coucher de soleil, de bavar­der le reste du temps ?

À la fin, pendant que ceux qui sont déguisés en moines ré­citent, les dona­teurs versent lente­ment de l'eau dans un pot métal­lique dédié à cet effet. Cela est perçu comme une chose sacrée qui apporte une pro­tec­tion. Voilà tout ce qui inté­resse les gens de nos jours et qu'une commu­nauté monas­tique pré­ten­due si noble entre­tient à mer­veille.

Si les moines sont autant investis dans les récita­tions et les céré­monies, c'est parce qu'elles leur donnent le senti­ment d'accom­plir quelque chose. Ils ne com­pren­nent pas que ce qui fait toute la force du renon­cement, et qui donne à l'esprit l'espace néces­saire pour le dévelop­pe­ment de la sagesse, c'est préci­sé­ment le rien, le vide, l'absence d'action, l'immo­bi­lité la plus com­plète.

Voir aussi :

Rien

Après l'eau, la plus sacrée des choses : l'une après l'autre, les enve­loppes sont tombées dans les mains des "moines". Arrivé mon tour, j'ai sim­ple­ment déclaré :

  • On a des préceptes. Ce n'est pas convenable d'accepter de l'argent.

Plutôt que d'affronter un grand malaise, ils ont feints de n'avoir rien entendu.

Si cela avait été possible j'aurais bien dit à ces gens-là qu'ils gagne­raient bien plus de mérite à donner des cou­ver­tures aux pauvres.

Métaphore du grand diseur

Dans l'un de ses premiers films, l'acteur Jean Dujardin jouait le rôle d'un sur­feur : Brice. Il avait tout du surfeur par­fait : le surf, la combi­naison, la façon de s'ex­primer, la coupe de cheveux, l'habi­leté à parler de surf. Le seul hic, c'est qu'il n'a jamais mis les pieds dans l'eau.

On peut bien le dire, hélas : la majorité des moines sont des Brice de la spiri­tua­lité.

Chanson monastique

De retour au monastère, ils diffusent des chansons traditionnelles à l'aide de gros hauts-par­leurs pour attirer les habi­tants des quar­tiers voisins, donc leur poten­tiel de dona­tions. Pourriez-vous ima­giner cela chez nous ? Des Béné­dictins ou des Char­treux, mettre de l'Édith Piaf à pleins déci­bels pour faire venir les dévots des villages voisins…

D'ailleurs, la mélodie de leurs récita­tions tient plus de la chanson que de la psal­modie.

Voir aussi :

Le Sutta du cauchemar

On ne peut pourtant pas blâmer ces moines asiatiques ; ils sont condi­tion­nés ainsi. Le mental des uns et des autres a fa­çonné la tradi­tion, qui elle, pollue complè­te­ment le monde monas­tique. Il est censé être déta­ché, mais de nos jours il est comme le monde laïc, c'est-à-dire mental. En d'autres termes, il s'oriente vers tout ce qui fait obstacle à la spiri­tua­lité : études, super­sti­tions, réci­ta­tions, acti­vités so­ciales, etc.

Ainsi, les moines sont des laïcs en robe. Ils s'atta­chent à des ma­nières, à des prin­cipes, à des croy­ances, ils ne se disent que des choses plai­santes à en­tendre. Il serait mal vu de se dire ses fautes ; pour­tant c'est ce qu'il con­vient de faire si l'on veut pro­gresser.

Je ne laisse pas Kassinou aboyer dans les récits, mais de là, je l'entends hurler « Doit-on com­pren­dre que toi, tu es irré­pro­chable ? »

Confession

Question vertu, on peut dire que j'ai l'esprit propre, mais ça n'a pas toujours été le cas. Je con­fesse avoir été un moine s'étant plu­sieurs fois laissé aller à la mé­con­duite. Entre autres :

  • Regarder des films.
  • Regarder des jolies femmes avec désir.
  • Filmer des spectacles de danse.
  • Se brancher sur le réseau Wi-Fi des voisins à leur insu.
  • Enfiler une tenue laïque le temps d'une soirée, pour pouvoir em­mener des enfants dans un parc d'attrac­tions, en Birmanie.
  • Se baigner dans un lac pour le plaisir, et toutes sortes de petites choses du genre…

Donc quand je critique les moines, c'est aussi vala­ble pour moi-même !

Les nobles laïcs

Il y a souvent dans les monastères ce que j'appelle un "noble laïc". Son profil est inva­ria­ble­ment le même :

  • S'il ne réside pas sur place, il y demeure le plus clair de son temps.
  • C'est un homme âgé.
  • Il est humble, discret.
  • Il prend soin de diverses choses dans le monastère.
  • Il se contente de très peu de choses.
  • Il est vêtu très simplement.
  • Il médite régulièrement.
  • Quand il y a du monde, il n'est pas là.

Vous l'aurez compris, le noble laïc est un homme qui a tout d'un moine, le dégui­se­ment en moins. Per­sonne ne prête atten­tion à lui, on ne lui fait pas d'offran­des, nul ne se pros­terne devant lui. Pourtant, cet homme sincère et ver­tueux a un mérite bien plus grand que la plu­part des moines.

Il dort dehors ou dans ce qui reste d'une vieille hutte. Il se nourrit des restes du repas des moines, ce qui signi­fie que tout ce qui est bon a été mangé. Bref, c'est un véri­table renon­çant et il est si mo­deste qu'il ne le sait même pas.

C'est un individu semblable qui s'approche de moi, aujour­d'hui. On échange quel­ques mots sur ma pratique. Il m'annonce qu'il médite 3 heures par jour. Préci­sion inutile, en voyant ses yeux justes et bril­lants, on le devine bien.

Comme j'ai la gorge sèche, je me hâte d'aller boire une gorgée d'eau. Quand je reviens à la porte, l'homme a disparu. Je ne le rever­rai plus, car j'ai l'habi­tude de rester dans mon coin.

Lors de ma collecte alimentaire, je rencontre un jeune marchand qui me propose de venir dans le monas­tère situé près de son village. Une di­zaine de jours plus tard, je me re­trouve dans le si­lence de la vaste cam­pagne monta­gneuse du Shan. Le monas­tère a la parti­cula­rité d'être sur une île au milieu d'un lac…