Lʼego
C'est quoi ?
L'ego est une chose si naturelle, et pourtant, si artificielle en même temps !
Pure illusion ?
Pour vous, votre ego est comme l'air ; vous ne le voyez pas, mais il est omniprésent. Vous en êtes totalement dépendant(e) et en usez constamment. Cependant, il ne fait que vous asphyxier, vous limiter, vous aveugler, vous traîner dans la peur, la confusion, la frustration, la misère…
Oui, l'ego est cette machine qui fabrique toute cette existence illusoire que vous percevez, tous les problèmes que vous rencontrez, sans la moindre exception. Et cette machine, c'est vous. Et vous, ou plus exactement ce que vous prenez pour “vous”, c'est précisément l'ego ! Se défaire de l'ego n'est donc pas une mince affaire, puisqu'il s'agit de vous défaire de vous !
Vous ne cernez pas encore très bien ce qu'est l'ego ? Dès que vous considérez les choses en tant que je suis… ou …est à moi, c'est l'ego à l'œuvre. À ne pas confondre avec l'égoïsme, qui est un comportement nuisible, basé sur l'illusion de l'ego, et renforcé par le désir. L'orgueil, quant à lui, est en quelque sorte le prolongement de l'ego, puisqu'il s'agit d'accorder plus de valeur à soi-même. Différence entre ego et mental ? Selon l'emploi, ils sont parfois synonymes. Autrement, le mental désigne le sens cognitif qui perçoit, pense, réagit…
Ben moi, je préfère exister. L'annihilation, très peu pour moi !
Comment annihiler ce qui n'existe pas ? En tout cas, je comprends ta réaction ; à quoi peut-on être plus attaché qu'à l'idée d'un moi ?
Alors c'est qui, qui est conscient, qui pense, qui galère ?
Personne. Il n'y a qu'une suite d'instants de conscience qui se succèdent, comme les images d'un film. En dehors de cela, il n'y a rien. En regardant un film, on arrive bien à pleurer, à rire, à frémir de peur, à haïr des personnages… Alors quand il s'agit du film dans notre tête qui s'étend à l'ensemble de nos perceptions, tu penses bien ! Le moi n'est donc qu'un flot de perceptions dont l'ensemble est un fantastique trompe-l'œil, ou plutôt un trompe-l'esprit.
Le plus souvent, nous nous identifions à des combinaisons de sensations physiques ou à des façons de penser. Nous les prenons pour “moi”. Pourtant, en dehors de sensations et de pensées, qu'y a-t-il ?
Qu'est-ce qu'une rivière, sinon un flot de gouttes d'eau ? De plus, au bout de quelques jours, toutes ces gouttes ont été remplacées par d'autres. Et par les évaporations, les vents et les nuages, ces gouttes ont coulé dans toutes les autres rivières de la planète.
Soulagement
Naturellement, cette idée de ne pas exister peut effrayer. Quand on perd tout et que tout va mal, par exemple, son soi est la seule chose qui nous reste. Mais si tout va mal, c'est précisément parce que nous nous attachons à ce soi. Quand nous arrivons à entrevoir que l'ego n'est effectivement autre que la plus grande des illusions, nous ressentons un indescriptible soulagement. Et puis rassurez-vous : s'il n'y a pas de “vous”, il n'y a pas non plus de “eux”. D'une façon, il n'y a personne sur Terre !
Pfff ! Ce que tu dis, ça colle pas. Qu'est-ce que tu fais de l'aura ?
Ce que nous appelons un “être vivant” est un ensemble très complexe d'énergies avec des corps éthériques, et toutes sortes de choses que nous ne soupçonnons même pas. Cela n'empêche pas qu'au milieu de tout ça, il n'y a pas de noyau dur et immuable. Même dans votre corps, aucune partie ne peut être définie comme étant vous. Qu'il s'agisse des os, du cerveau, ou même du cœur, ce n'est rien d'autre qu'une agglomération de cellules.
— Les gens sont-ils tous égaux ?
— Hélas oui, ils sont bien egos, ce qui crée beaucoup d'inégalités.
Échappatoire
J'ai à présent une bonne nouvelle à partager : il existe un moyen simple pour échapper d'un seul coup à l'emprise de l'ego. Vous songez peut-être que je m'apprête encore à donner mon conseil favori, qui consiste à rester dans l'instant présent ?
Si oui, vous avez parfaitement raison ! En effet, conscient à l'instant présent, donc à tout ce qui s'y produit, l'esprit ne perçoit que la réalité. Pour cette bonne raison, il ne peut pas distinguer de “moi”, mais seulement des états d'esprit conditionnés et impersonnels qui ne font que “couler”. Il ne perçoit que des “gouttes”, mais pas de “rivière”.
La croyance dans le soi n'est qu'une brève pensée qui se répète. Et comme vous le savez, aussitôt qu'une pensée apparaît, vous n'êtes plus dans l'instant présent, et par conséquent, c'est la porte ouverte aux illusions. Il faut faire preuve d'un grand discernement pour penser sans basculer dans l'illusion.
Voir les gouttes une à une
En continu, nous nous laissons emporter par des flots de concepts, et noyés dans des tourbillons d'illusions. Nous interagissons selon les constructions mentales que nous avons emmagasinées au fil de notre existence, et non selon les choses telles qu'elles sont. Une vision, un son, une odeur, nous plonge dans un souvenir ou une idée. Chaque perception évoque des choses qui sont dépourvues d'existence propre.
À cause de cela, nous organisons toute notre vie sur de l'illusoire, du vide, de la fiction. Nous entretenons des souvenirs morts, et nous nous projetons dans un avenir aussi inatteignable que la carotte de l'âne, en plus d'être totalement incertain. Le passé et le futur sont l'espace virtuel dans lequel se façonnent nos considérations, jugements, habitudes, craintes, croyances, attachements, ce tout qui crée notre insatisfaction. Dans ces cas, il est question d'assemblages, d'agglomérations, d'associations. Et c'est bien le cœur du problème.
Le sage, lui, considère les choses séparément, il voit le monde en pièces détachées. À chaque instant, il sait qu'il n'y a pas de rivière mais que des gouttes qui ne font que passer. Ne s'accrochant à aucun tourbillon, il ne se noie pas.
Il fait chaud, la climatisation est éteinte. Quelqu'un verra un océan. Il pensera : « C'est à cause de la société ! Elle ne nous donne pas assez d'argent. »
Un autre verra un fleuve. Il pensera : « Si tout le monde bossait dans cette famille, ce ne serait pas nécessaire d'économiser autant l'électricité. »
Un autre verra un seau d'eau. Il pensera : « Si seulement il y avait un peu de vent ! »
Un sage, lui, verra simplement une goutte. Il sentira juste une petite goutte de sueur le chatouiller en glissant sur sa peau.
L'image de soi
Quoi de plus tenace que l'image de soi ?
- Garde à qui osera penser du mal de moi !
Vous imaginez jusqu'où peut nous mener notre aveuglement ? Nous attacher au reflet d'une chose qui n'existe pas ! Même si nous savons que notre image de soi n'est qu'une illusion oppressante, si celle-ci est malmenée, notre premier réflexe sera de la défendre par une contre-attaque, une rectification, ou au moindre, d'éprouver un sentiment de vexation.
Si notre image est valorisée, c'est un sentiment d'euphorie – tout aussi néfaste – qui s'empare de notre esprit. Afin d'aller vers l'amélioration, ce que le sage recherche, au contraire, c'est qu'on lui indique ses défauts.
Qui fait ton éloge t'assassine.
À la source de bien des conflits, l'image de soi exprime clairement tout le danger et l'absurdité de l'ego. Pour voir comment ce dernier fonctionne pour entretenir son image, il suffit de l'observer : il demeure infatigable dans sa volonté d'avoir raison, de le prouver, de se sentir supérieur, de faire savoir ce qu'il pense, etc. De ce fait apparaissent de nombreux états d'esprit néfastes. Entre autres :
- l'orgueil
- la fierté
- la colère
- la jalousie
- la crainte
- la timidité
- la convoitise
- le mécontentement
- l'impatience
- la frustration
- la tristesse
- le doute
En insensé qu'il est, prêt à tout pour gonfler son image de soi, l'ego recourt à un fonctionnement qu'il vaut mieux ne pas ébruiter auprès des animaux, car nous deviendrions la risée du monde. Il y intègre du matériel. Oui, l'ego utilise les possessions pour valoriser son image. Les possessions obtenues sans effort ne font pas de différence, ce n'est donc pas lié à la difficulté d'obtention.
Nous savons que la possession est un concept erroné (nous ne possédons même pas notre esprit) et les physiciens nous disent que la matière est vide avant tout. Ainsi, nous sommes des mirages employant du vide pour donner à d'autres mirages une belle image de quelque chose qui n'existe pas !
Combien sont ceux qui ne cèdent pas à un sentiment d'importance lorsqu'ils disposent d'une certaine richesse ? Et à l'opposé, quel pauvre se trouve-t-il épargné de tout sentiment d'infériorité ? Il faut déjà avoir effectué un certain renoncement pour se sentir parfaitement à son aise au milieu de gens bien habillés, alors qu'on est pieds-nus et vêtu comme un mendiant.
Eckhart Tolle explique que l'ego a tendance à assimiler l'avoir à l'être. Ainsi plus nous “avons”, plus nous “sommes”.
Le sens que l'ego a de votre valeur personnelle est dans la plupart des cas associé à la valeur que vous avez aux yeux d'autrui.
Le paradoxe, bien sûr, c'est que plus un individu se désintéresse de son image de soi et de son égoïsme, plus grande est la probabilité qu'il obtienne une belle réputation. Pour rester éloigné du trou noir de l'ego, il convient de suivre une voie réputée noble par les sages, et dont la principale difficulté réside dans le fait qu'elle va à contresens de toutes les recommandations que nous avons l'habitude d'entendre dans notre vie (scolaire, professionnelle, amoureuse…) :
- lâcher-prise
- abandon
- désactivaction
- immobilisation
- contentement
- renoncement
- déconstruction
Les pensées
Les pensées, voilà le combustible de l'ego. Pas de pensées, pas d'ego ! Pour vous en convaincre, essayez donc d'être conscient(e) de votre moi sans la moindre pensée… Bien sûr, la pensée sert aussi à établir des réflexions et accomplir des actes bénéfiques.
Comme vous le savez peut-être, la pensée est un processus psychique d'agglomération d'idées, sur la base des cinq sens physiques et de concepts.
La pensée n'est ainsi qu'une fabrication artificielle, comme un écrivain qui emploie des mots pour concevoir un conte de fées. Nous avons là une preuve de plus que l'ego ne peut avoir d'existence propre. Chacun de nous n'est que le personnage qu'il crée. Chacune de nos vies n'est que le conte qu'il conçoit. Le problème, c'est qu'un conte n'est jamais dépourvu de misère.
Aussi longtemps que l'esprit reste sous l'emprise des poisons mentaux, la misère règne en impératrice. Parce que les poisons font passer l'indésirable pour souhaitable et le souhaitable pour indésirable. Le seul moyen de sortir de la misère, c'est de sortir du conte (non pas de la vie, mais du monde des idées).
Car oui, nous créons notre propre misère ! Si vous avez des problèmes, l'univers n'y est pour rien ! Ni la société, ni les politiciens, ni votre employeur, ni tante Hélène. Si vous rencontrez une insatisfaction, quelle qu'elle soit, la principale cause ne peut se trouver qu'en vous, dans le conte que vous inventez à longueur de temps, et dont votre ego est le héros.
Prenons un exemple un peu extrême. Un homme vous rue de coups et vous vole votre portefeuille. Si vous éprouvez une quelconque insatisfaction à cela (en dehors de la douleur des coups), l'agresseur en sera bien entendu une cause, mais la principale cause se trouvera en vous. Si vous ne parvenez pas à vous contenter du bonheur de la petite goutte de l'instant présent, il est probable que votre machine à penser produise une cascade de pensées véhiculant des myriades d'émotions négatives.
Vous savez donc que qui fait fi de son ego vit en harmonie avec les éléments, et que dans la situation décrite ci-dessus, il serait libre de tout ressentiment, donc sans misère. Il est intéressant aussi de noter qu'un tel être, de par ses dispositions d'esprit saines, engendrerait des énergies pures, grâce auxquelles les probabilités pour que se produise un tel événement seraient considérablement réduites. En outre, il évite de sortir dans les zones et aux heures où les agressions sont plus élevées.
Ce qui nous ramène à l'argument sous-entendu tout au long de ce chapitre sur la pensée : Les pensées véhiculent toute notre misère ; la souffrance morale, comme l'inquiétude, la tristesse, le mal-être, l'avidité, l'excitation, le mécontentement, la confusion… Bref, l'ensemble des insatisfactions. Je pense donc je souffre.
Les pensées apportent également du bonheur.
Je m'attendais à ce que tu poses cette question ! Non, ce sont les désirs qui se pensent. Et de telles pensées apportent de l'excitation. Le bonheur, lui, ne se pense pas, il se vit. Les personnes qui pensent le moins – et c'est bien logique – sont celles qui connaissent le plus de bonheur. Pour rappel, le bonheur est un soulagement dû à une trêve de l'activité mentale. Quand vous éprouvez un bonheur authentique, êtes-vous dans les pensées, ou vous profitez simplement et pleinement d'un moment de félicité ?
La liberté
Libérez-vous de vous
Pour comprendre la liberté, il faut comprendre ce qui lui fait obstacle. Nous l'avons vu, l'ego n'est qu'une fabuleuse ruse pour nous entretenir dans l'esclavage du mental.
La liberté intérieure, c’est d’abord l’affranchissement de la dictature du “moi” (…) Ce n’est pas lâcher la barre, laisser les voiles flotter au vent et le bateau partir à la dérive, mais barrer en mettant le cap vers la destination choisie.
Le principal problème n'est pas que le “moi” nous impose sa volonté, mais que nous sommes convaincus d'être lui. Nous croyons ainsi être une entité immuable. Telle est la plus grande méprise de tout être non accompli. De cette méprise découle le plus profond de nos attachements : la sensation d'exister. Le bouddhisme parle de désir d'existence.
Ce qui semble paradoxal, c'est qu'il faille précisément accepter l'idée de ne pas exister afin de pouvoir vivre librement.
Être libre, c'est s'exercer à n'être rien.
Autrement dit, dès l'instant où vous voulez être ou avoir quelque chose, vous établissez votre propre emprisonnement. Et plus votre ego sera fort, plus vous serez vulnérable et misérable. Il suffit d'insulter (sans raison) une personne pour avoir une idée, d'après sa réaction, à quel degré il est emprisonné par son ego.
À l'idée de ne plus vouloir, que les esprits anxieux ne s'inquiètent pas pour leurs besoins. Il n'est pas nécessaire de vouloir pour obtenir ses besoins vitaux. D'ailleurs, moins nous nous en préoccupons (avec un esprit de détachement), et plus ils se présentent naturellement à nous. Le spirituel a tous les pouvoirs sur le matériel, pas l'inverse. L'expérience pourra toujours vous le montrer.
Soyez spectateur
Dans le grand théâtre du monde, nous jouons tous un rôle. Quand nous devenons un simple spectateur, nous trouvons une grande liberté. Nous n'avons qu'à nous installer tranquillement, et contempler le spectacle qui s'étend devant nous. Il n'est plus la peine de courir après les premiers rôles, de se fatiguer entre les drames et les comédies, ballottés entre critiques et ovations.
Hélas, il n'est pas si facile d'abandonner son rôle, l'ego y tient plus que tout, et pour cause, il est le rôle. Si vous en avez sincèrement le souhait, vous y parviendrez. Cela prend du temps, mais ça n'est pas aussi difficile qu'on a parfois tendance à le croire. Rappelez-vous que tout est une question de lâcher prise. Le tout est de commencer, puis de continuer. Ce qu'il y a d'encourageant, c'est que plus on se libère et mieux les choses se passent.
La considération
Accepter de ne pas exister inclut de facto le fait de ne plus s'accorder la moindre valeur. Si vous appliquez cette merveilleuse pratique de détachement, votre relation avec les autres s'en trouvera radicalement transformée. À l'ordinaire, une personne considère les uns et les autres de façon bien différente, n'est-ce pas ? Son comportement ne sera pas le même envers un interlocuteur selon ses caractéristiques, comme :
- l'âge
- le sexe
- le rang (hiérarchique ou social)
- la proximité (amicale ou familiale)
- le physique
- le caractère
- la qualité de la relation
Pouvez-vous imaginer ceci ? Avec un esprit sans ego (ou presque), tout esprit est perçu pour ce qu'il est : un esprit neutre. Avec lui, vous interagissez sans aucun rôle à jouer, sans aucune catégorisation, sans aucune arrière-pensée, sans aucune émotion (embarras, crainte, timidité, irritation, mécontentement, ennui, dédain, répulsion, désir, jalousie, confusion…) Au lieu de cela, comme votre esprit est vide, il a toute la place pour laisser entrer les dispositions saines (bienveillance, compassion, joie dans le bonheur d'autrui, paix, patience, générosité…) Bref, vous avez l'esprit libre !
Les états d'esprit sains précités sont parfois si inhabituels qu'ils peuvent nous paraître plus ou moins forcés. Pour un esprit libre, ils sont toujours perçus comme un pur bonheur, car ils ne sont pas ternis ni étouffés par l'ego.
Nettoyage
Avez-vous mieux à faire ?
Vous devez bien le comprendre, pour devenir une personne saine, équilibrée et spirituellement accomplie, il convient de soumettre son esprit à un nettoyage en profondeur.
Dans le monde, presque personne ne s'adonne à un tel nettoyage. La raison en est simple : presque personne n'en perçoit l'importance. Chacun croit avoir mieux à faire. Pourquoi cela ? Parce qu'on n'a aucune idée de la puissance de soulagement, de bonheur et de paix qu'un tel nettoyage procure. Si l'on pouvait distribuer une démo, un échantillon, un soupçon, même les personnes aux egos les plus endurcis ne tarderaient pas à devenir de diligents méditants.
Vous êtes capturé(e) par des citadins sauvages. Ils vous gardent dans une cave très sale où ne circulent que pollution, humidité et poussière. Vous êtes nourri(e), mais privé(e) de douche.
Alors que les jours passent, la crasse vous envahit, le manque d'hygiène provoque de nombreuses maladies. Au bout de quelques mois, vous commencez à vous habituer. Après quatre ans, quand on vient vous délivrer, votre état sale et maladif vous semble devenu tout à fait normal.
Après quelques bonnes douches et une bonne guérison, vous peinez à croire qu'il soit possible de se sentir aussi bien, propre, léger(e), vif(ve) et énergique.
Si votre emploi du temps est aussi chargé que celui d'un chef d'État, vous vous dites :
- Je n'ai vraiment pas le temps. Plus tard, peut-être.
Rassurez-vous de suite, il n'est pas utile de prendre un seul instant de votre temps pour effectuer ce nettoyage. Si vous prenez une pause pour prendre un peu de temps, vous n'avez alors plus rien à nettoyer.
Ce qu'il y a à nettoyer, ce sont précisément toutes les impuretés qui s'immiscent au cœur de votre quotidien, à travers toutes vos interactions, intentions, comportements et pensées.
Quand nettoyer ?
J'espère que vous lisez attentivement… Ce nettoyage nécessite de la vigilance consciente en arrière-plan et de brèves réflexions bien ciblées. Il peut, et à terme devrait, s'étaler sur l'ensemble du temps éveillé. Comme vous pouvez le constater, ce qui est sollicité n'a pas de quoi chambouler votre agenda. Même dans un métier de réflexion et de concentration, les phases clé sont momentanées, et les pensées dispensables restent nombreuses. Et de toute façon, le nettoyage intérieur vous apportera les plus grands avantages, quoi que vous puissiez faire.
Avant d'entrer dans les détails, tenons bien compte de quelques points…
Nettoyage intégral
Si vous êtes déterminé(e) à nettoyer votre esprit, vous ne devez tolérer aucune trace. L'ego est capable de se contenter de très peu de poussière pour survivre. Soyez plus fort(e) que lui !
Vous êtes un(e) prince(sse) adulé(e) (oui, c'est mieux que d'être en captivité dans une cave) et vous payez une fortune pour loger dans la suite princière d'un palace réputé parfait. Vous vous apercevez que la poussière a été cachée sous un tapis. Comment percevez-vous la qualité du service (même si le reste est impeccable) ?
Travaillez sur toutes vos imperfections. Bien sûr, au début, vous ne serez pas en mesure d'être conscient(e) de la plupart d'entre elles. Pour les autres, si vous les décelez, cela signifie que vous êtes capable de travailler dessus. Alors je vous en prie, ne dites pas :
- Oh, ça, je laisse tomber, je ne suis pas prêt(e), je vais y aller doucement.
Avec un tel état d'esprit, vous vous assurez l'établissement d'une pratique confinée à la superficialité. Alors quand vous remarquez en vous un état d'esprit façonné par l'ego, rappelez-vous qu'il ne faut pas mettre la poussière sous le tapis.
Modifications conséquentes
C'est un fait connu : l'ego a horreur du changement. Il exige un changement constant dans ce qu'il perçoit, mais se refuse à changer son propre comportement. Songez-y lorsque vous vous sentez hésitant(e) à adopter une habitude plus saine, même si elle peut sembler moins divertissante. Gardez aussi à l'esprit que l'accomplissement spirituel passe inévitablement par le changement.
Si vous parvenez à vous investir sérieusement dans ce nettoyage de l'esprit, interviendront des changements plus ou moins importants, notamment dans votre mode de vie. C'est ainsi que vos nouvelles habitudes vous inciteront à abandonner certaines activités. C'est la meilleure manière de renoncer ; suffisamment mûr, le fruit tombe de lui-même.
Que tombe ce qui doit tomber. Chaque parcelle de terrain gagnée sur l'ego est une parcelle de lumière en plus.
Souplesse
Le forçage n'a pas sa place dans le nettoyage. Quand vous constatez que l'ego intervient, ne vous contraignez pas à agir à l'inverse. Vous ne feriez que lui donner plus de force, car la contrainte entretient rigidité et illusion.
Il faut observer le processus, de sorte à être conscient de ce qui nourrit l'ego. Quand on le perçoit, le lâcher prise devient naturel.
Vous n'empêcherez pas le chat d'éventrer vos poubelles en le tirant par la queue. Si vous ne laissez pas de déchets alimentaires dans vos poubelles, le chat ne viendra plus.
Hasard
Le hasard est une illusion. Le savoir aide beaucoup. Tout ce qui se produit dans notre vie, jusque dans les moindres détails (situation, problème, oubli, pensée, rêve, etc.) a une raison, une utilité bien précise. En être conscient permet d'œuvrer à notre accomplissement intérieur selon une redoutable efficacité. Car oui, toutes ces micro-choses qui nous arrivent sont exactement ce sur quoi nous avons besoin de travailler.
La vie n'est qu'un outil de perfectionnement. Quoi d'autre, sinon ? Quand, par exemple, nous contribuons à rendre le monde meilleur, les actions impliquées comptent pour elles-mêmes. Il y aura toujours des esprits négatifs pour tirer la corde de l'autre côté. Comme le dit si bien le proverbe : « Partout où Dieu a sa chapelle Satan a la sienne. » Quoi qu'il en soit, le meilleur moyen d'améliorer le monde est de s'améliorer.
Imaginez un monde parfaitement bien organisé, où tout est équitable, donc où personne ne manque de quoi que ce soit. Quel serait l'intérêt de vivre, s'il n'y a plus rien à améliorer, plus rien à obtenir, plus rien à attendre ? Sans avidité ni aversion, il n'y aurait plus rien sur quoi travailler. Sans ignorance, il n'y aurait plus rien à chercher à connaître.
La vie ne sert pas à être vécue, elle est une opportunité de libération.
Comment nettoyer ?
Chasse à l'ego
Voici donc comment se déroule le nettoyage de votre esprit…
Comme base, vous maintenez au mieux la vigilance à l'instant présent (VIP), qui consiste à être pleinement conscient dans l'instant, et dont je suis sûr que vous avez fait votre priorité, au travail comme en privé. Comme un gardien habile qui ne laisse passer aucun clandestin, vous scannez en quelque sorte tout ce qui entre dans votre esprit.
Plutôt que les sensations physiques, vous allez privilégier les sensations mentales, et tout particulièrement les réactions. Pour tout dire, le nettoyage se fait essentiellement sur les réactions générées par les interactions avec les autres.
Observez scrupuleusement comment, dans chaque situation, l'ego agit. Entraînez-vous à voir en détail toutes les pensées qui se succèdent à la suite d'un événement. Dans ce contexte, un événement est tout ce qui peut vous faire réagir : un bruit, une odeur, la vue d'une personne, une parole, une situation, etc. Ces pensées peuvent être rapides, à peine perceptibles, en arrière-plan, et être des réactions de réactions de réactions…
Il n'y a rien à chercher, mais juste à prendre les choses telles qu'elles sont. C'est simplement une question de volonté de conscience. Il n'y a pas de vraies difficultés, chacun nettoie à son propre rythme et selon son propre niveau.
Quand une réaction typique est décelée (exemple parmi tant d'autres : une réflexion moqueuse et vous vous vexez), observez d'autant plus. L'outil dont vous aurez le plus besoin est l'acceptation, véritable clé de la sagesse ! Chaque fois qu'apparaît une épreuve – même minime –, appliquez-la de votre mieux.
Acceptation
L'acceptation ne signifie pas seulement d'accepter que quelqu'un puisse se méprendre sur vous, mais aussi d'accepter votre irritation si elle s'échappe malgré tout. Dans ce cas, pensez bien à l'observer aussi, et de voir pourquoi elle se forme. Dans cette pratique, vous comprendrez combien il est inutile de se forcer, et que le nettoyage se fera de lui-même à force d'acceptation et d'observation. Peu à peu, vous verrez combien lâcher votre ego est un merveilleux accomplissement. Non seulement les situations désagréables deviendront rares, mais quand elles se produiront, elles n'auront même plus d'effet sur vous !
L'acceptation concerne autant l'inconfort physique que mental. Si un moustique vous pique, plongez votre attention au cœur de cette petite sensation, tout en épiant les réactions mentales qui, dans un tel cas, ne manquent pas de se manifester.
Étapes
Revenons au nettoyage, si vous le voulez bien. Il s'effectue en plusieurs étapes, un peu comme il faudrait s'y prendre à plusieurs reprises pour nettoyer des saletés bien incrustées. Ainsi, armé(e) de vigilance et d'acceptation, chaque fois qu'un événement similaire se produit, vous pourrez progresser selon ses étapes :
- Prise de conscience, après coup, de la réaction (négative).
- Prise de conscience sur le coup, mais la réaction demeure la plus forte.
- Par habitude, la réaction commence, mais avorte dès la prise de conscience.
- La réaction reste mentale (il n'y a plus de gestes, plus de paroles).
- Seul persiste un sentiment léger.
- La réaction n'a plus aucune raison d'être.
- Ce vide est naturellement comblé par des dispositions saines, comme de la bienveillance.
Parfois, de petits réflexes font surface, mais ils restent insignifiants. Le bonheur (qui est un soulagement, rappelez-vous) qui remplace vos mini-réactions malsaines prend parfois la forme de compassion, envers ceux qui usent d'hostilité envers vous (ou envers les autres), car vous les verrez clairement sous l'emprise de leur ego.
Absence de hasard
C'est fantastique comme les choses sont faites, magique, même ! Pour chacun d'entre nous, les événements – c'est-à-dire tout ce qui nous arrive – sont taillés sur-mesure ; ils correspondent juste à ce sur quoi il nous faut pratiquer.
Tout ce qui nous arrive de désagréable n’a qu’un but : celui de nous éveiller.
De plus, et vous en viendrez à le constater vous-même lors de ce grand nettoyage, il y a le caractère récurrent des événements. Tant qu'une épreuve est esquivée ou reste irrésolue, elle se représentera à vous, comme une facture impayée. Une fois réglée, l'épreuve n'insistera plus. N'est-ce pas magnifique ? Il n'y a rien à chercher, toute la pratique dont nous avons besoin est à portée de main.
Recommandations
Tout est fait pour récompenser ceux qui se donnent à l'honnêteté et à l'humilité. Soyez donc confiant(e) et enthousiaste dans votre pratique. Ne soyez pas comme un oiseau qui n'ose pas faire son premier envol, et qui du coup, finit moisi dans son nid. Confrontez directement et pleinement tout ce qui doit l'être, ne craignez jamais de mettre à jour vos défauts. Acceptez tout ce qui, au fond de votre esprit, vous apparaît pesant, gênant, maladroit, sans interpréter, ni refouler quoi que ce soit.
Pour vous aider à accepter les situations sans réactions négatives, souvenez-vous que :
- Il n'y a pas de hasard ; vous méritez tout ce que vous expérimentez dans les moindres détails, tout est fait pour vous sur-mesure.
- Votre ego n'a pas d'existence ; en avoir bien conscience remplacera la colère par une grande sensation de liberté et de bonheur.
- Reconnaître ses défauts est la plus grande force sur la voie du progrès.
- Le calme et la patience sont la lumière indispensable aux réactions positives.
Les Français croient que critiquer est “très français”, les Birmans croient que c'est “très birman”, etc. Bref, critiquer est “très mondial”.
Il est bien plus bénéfique de rehausser que de rabaisser. Essayez donc de remplacer les critiques négatives par des critiques positives. S'il ne vous semble pas possible de louer un élément, louez-en un autre. Par exemple, entre A et B, plutôt que d'affirmer que A est grossier, dites que B est raffiné.
Aussi, grâce au nettoyage, si d'autres vous critiquent, cela vous amusera tout au plus, car vous saurez que leur vision est biaisée, construite sur leurs propres illusions, et que réagir négativement ne contribuerait qu'à fortifier leurs opinions. « Seule la vérité blesse », dit l'adage.
Conclusion
Au long de ce noble entraînement, vous décèlerez et nettoierez d'abord des choses assez évidentes, comme de l'égoïsme, de la jalousie ou de la répulsion. Par la suite, cela deviendra plus subtil, comme le désir de montrer ses capacités, celui d'être reconnu ou aimé, le fait de se comparer aux autres, ou encore, se prouver à soi-même qu'on est “quelqu'un de bien”.
Après un bon nettoyage, des difficultés peuvent persister (cela dépend aussi du karma de chacun), mais elles deviennent beaucoup plus intéressantes, la sagesse brille, le contentement devient une seconde nature.
En grimpant les échelons des mandats politiques, depuis maire de village jusqu'à chef d'État, les difficultés ne cessent pas, mais la tâche, comme les avantages, devient plus intéressante (surtout si elle est accomplie proprement !)
À certaines périodes, méditer seul, immobile, cloîtré et bien isolé est très propice, et même nécessaire, tôt ou tard. Néanmoins, cela n'est pas suffisant. Le nettoyage des poisons mentaux – dont l'ego est le roi – est indispensable. Tous les êtres éveillés sont passés par là, sans exception.
Seul, ce nettoyage intérieur ne peut pas non plus conduire à ce que Bouddha appelle Nibbãna (qui nécessite aussi une dernière ligne droite de méditation profonde), mais prépare le terrain comme rien d'autre ne pourrait le faire, réduit la misère comme un milliard d'euros ne pourrait jamais le faire, et apporte une compréhension et une lucidité considérable, comme un QI de 300 ne pourrait jamais le faire.
Ce n'est pas autrement que les moines et autres renonçants s'entraînent, des moines authentiques, non pas de profiteurs déguisés en moines (le nettoyage permet aussi de ne plus être floué par les apparences). La seule différence avec ceux qui vivent en société, c'est qu'ils sont assez avancés dans ce processus pour avoir renoncé à l'expérience familiale, aux activités, aux relations sociales, aux loisirs, qu'ils perçoivent comme handicapant sur la voie de la Liberté.