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Que sont les émotions ? Les dangers du désir ? Les voiles de l'illusion ? Comment s'accroche-t-on à ce qui n'existe pas ?

Et surtout : Quels sont les antidotes à ces poisons du mental ?

Suggestion
N'oubliez pas de méditer. Si vous lisez les articles de ce site sans pra­tique, c'est comme si vous plan­tiez des grai­nes sans les arroser.

Les poisons mentaux

Les émotions

Les poisons mentaux, qui cons­ti­tuent la matière pre­mière de 100 % de notre souf­france, ont pour ori­gine trois racines, que seule la médi­ta­tion est en mesure d'ané­antir.

Ces trois racines sont en quelque sorte les trois émotions primaires, compa­ra­bles aux trois couleurs pri­maires, qui forment toutes les couleurs. Les boud­dhistes appel­lent ces trois colo­rants psy­chiques lobha, dosa et moha : le désir, le rejet et l'illusion.

Chaque émotion ou chaque pensée incor­recte est teintée par une combi­nai­son des trois poisons de l'esprit. Cer­taines émo­tions, même, com­por­tent à peu près autant de désir que de rejet, comme la jalousie ou la nostalgie.

Le vocabulaire français n'est parfois pas suffi­sant pour expli­quer certains points de la dimen­sion spiri­tu­elle. C'est le cas de désir, rejet et illusion en tant que racines des poisons mentaux, que j'expli­que­rai au début de chacun de leur chapitre res­pec­tif. C'est aussi le cas du mot émotion.

émotion
Dans notre contexte, il s'agit de tout état d'esprit généré par une réaction mentale impure (aussi minime soit-elle).

Le saviez-vous ? Une émotion est toujours négative. Émotion négative est donc un pléo­nasme. Un esprit libre se trouve donc, a fortiori, affranchi de toute émotion. En effet, il serait inap­pro­prié d'affir­mer qu'un tel esprit soit émotif. L'émo­ti­vité est une fai­blesse qui n'apporte que de la souf­france.

Kassinou le détracteur

Qu'est-ce que tu fais de l'amour, de la gra­ti­tude, de l'humi­lité ? Ce sont des fai­blesses ?

Ce ne sont pas des émotions. L'amour et la gratitude, comme la com­pas­sion, la géné­ro­sité, ou encore la tolé­rance, sont des dispo­si­tions saines de l'esprit. Beaucoup parlent là d'émotions posi­tives, mais comme évoqué plus haut, la notion d'émo­ti­vité induit l'impu­reté. Une dispo­si­tion saine de l'esprit, par défi­ni­tion, est libre de toute impu­reté, bien qu'elle puisse être mélan­gée avec de l'émotion.

L'amour, qui n'est que pure bien­veillance, est souvent, comme vous le savez pro­ba­ble­ment, mélangé, voire confon­du, avec du désir sensuel ou (et) sexuel. Comment faire la diffé­rence ? C'est très simple. Si la dis­po­si­tion de l'esprit est saine, vous êtes en paix, inté­rieu­re­ment calme, soit neutre, soit dans la joie, mais hors de portée des poisons mentaux. Si la dispo­si­tion de l'esprit s'accom­pagne d'un cortège d'émotions, comme : la posses­si­vité, la jalousie, la crainte, ou même le manque, alors elle est mal­saine, sous le contrôle des poisons mentaux.

L'humilité, par contre, n'est pas quelque chose. C'est juste un nom que nous donnons pour dési­gner une absence d'orgueil et d'ego. Devinez-vous qui génère l'ego ? Oui, les poisons mentaux, et tout parti­cu­liè­re­ment l'illu­sion.

Celui qui fait son possible pour être humble est donc dans l'erreur. Tout au plus, il donnera une image en jouant un rôle, qui ne sera rien d'autre qu'un nou­veau moyen de cultiver l'ego. La pro­cé­dure saine consiste à démas­quer l'orgueil chaque fois que cela est possible, et d'accepter plei­ne­ment tous ses défauts ! Tel est le seul moyen de cul­ti­ver l'humi­lité.

Voyons maintenant un peu plus en détail qui sont ces trois poisons, res­pon­sables de nos moindres insa­tis­fac­tions…

Le désir

Ce poison, tantôt nommé désir, tantôt avidité, est une force mentale assu­jet­tis­sante qui se carac­té­rise par le fait de vouloir, d'aller vers une chose, de s'accro­cher.

Quelques émotions et pensées majo­ri­tai­re­ment engen­drées par le désir :

  • désir
  • concupiscence
  • avidité
  • convoitise
  • gourmandise
  • voyeurisme
  • passion
  • attirance

Les dangers du désir

Cette caractéristique du désir, ce “vouloir pour soi”, peut presque paraître anodin. Pour nous con­vain­cre que non, il nous suffit de songer que, si seul ce poison n'existait pas chez l'Homme, la Terre entière serait en parfait état, le monde entier man­ge­rait à sa faim – bio de surcroît – et il n'y aurait ni conflit, ni mensonge, ni tris­tesse, ni stress, et par con­sé­quent aucune colère non plus (puisque le rejet est le contre-ba­lan­ce­ment du désir), donc aucune insé­cu­rité humaine. Rien que ça ! Hélas (pour les attachés) ou tant mieux (pour les détachés), la repro­duc­tion serait un devoir dé­pour­vu de saveur.

Le désir est très dangereux. Notam­ment, il cause bien plus de guerres que la haine. Quand on hait, on évite ; quand on convoite, on est prêt à tout. Lorsque des jeunes se battent, c'est rare­ment par pure haine, mais plutôt pour un gain : une fille, du maté­riel, une répu­ta­tion… De même, quand un pays entre en guerre, ce n'est pas par simple haine, mais par convoi­tise : un territoire, une res­source natu­relle, de l'or, du pétrole…

Le souhait

Le désir ne doit pas être confon­du avec le souhait, qui lui, peut être sain. Quand, par exemple, nous parlons de “désir de s'amé­liorer”, c'est une manière de parler. Il s'agit bien sûr ici d'un souhait de s'amé­liorer. En tant que poison, le désir ne conduit qu'à l'insa­tis­fac­tion, il est donc malsain. Un désir peut, s'il est suivi avec succès, débou­cher sur un plaisir. Mais la loi karmique étant par­fai­te­ment équi­table, chaque plaisir génère un déplai­sir équi­va­lent (qui appa­raît en temps voulu). De plus, un désir appa­raît seu­le­ment par manque de satis­fac­tion. Un esprit plei­ne­ment satis­fait ne peut donc pas connaî­tre le désir.

Arthur Schopenhauer a dit :
Tout désir naît d'un manque, d'un état qui ne nous satisfait pas ; donc il est souffrant, tant qu'il n'est pas satisfait.

Désir + aveuglement

Notre aveuglement, surtout lorsque nous sommes sous l'em­prise d'un désir, grossit et ne nous montre que le côté plai­sant des choses. En outre, nous imagi­nons que ce plaisir sera cons­tant alors que non seu­le­ment il dure bri­ève­ment, mais souvent, il est moins intense que notre réjou­is­sance avant de l'obtenir.

L'avidité (synonyme de désir) nous plonge dans la souf­france pas seu­le­ment à cause de ce qui vient d'être dit, mais aussi parce qu'elle tend à mul­ti­plier les éner­gies néga­tives, selon un effet dominos. Aussi, l'accou­tu­mance à ces poisons inté­rieurs ne con­tri­bue pas à amé­liorer les choses. Plus forte est l'avi­dité, plus pénible est son résul­tat : tris­tesse, colère, frus­tra­tion, agi­ta­tion… Et plus grande est la pour­suite du plaisir, plus grand est le désa­gré­ment (après coup) : le manque, la honte, l'ennui, la fatigue…

Kassinou le détracteur

Moi, chaque fois que je veux me faire un plaisir, je me le paye, c'est tout !

Avec ton salaire. Comme tu n'es pas encore en mesure de te contenter d'un caba­non modeste et d'une ali­men­ta­tion simple, mais que ton esprit est entre­tenu dans le désir d'un tas de plai­sirs et conforts, tu es obligé de tra­vail­ler des heures chaque jour pour eux.

Lire aussi :
Le travail

Cela dit, il existe des gens qui tra­vail­lent dans un bonheur plus ou moins cons­tant. De tels êtres, bien sûr, son quasi­ment libres de désir, donc d'égo­ïsme. C'est seu­le­ment lorsque le désir s'efface qu'un réel bien-être est possible.

Kassinou le détracteur

Quand on vit plein de bonheur, il faudra for­cé­ment le payer avec autant de désa­gré­ments, non ?

Plaisir vs Bonheur

Tu es en train de confondre plaisir et bonheur. La con­fu­sion est fré­quente, et l'un des deux termes est parfois employé à la place de l'autre.

Le plaisir est malsain, il résulte de l'atta­che­ment, c'est une excitation des sens. Il se base sur de l'illusion.

Le bonheur est sain, il résulte du détache­ment, c'est un sou­la­ge­ment des sens. Il se base sur la réalité.

Kassinou le détracteur

Pourtant, il n'y a rien de plus natu­rel que de s'offrir des plaisirs.

La nature n'a pas prévu le bonheur

Fais comme bon te semble. Seulement, t'investir corps et âme dans les plaisirs ne t'appor­tera que du malheur, tandis que la vigi­lance cons­ciente à l'égard des poisons mentaux te pro­cu­rera le bonheur incon­di­tion­né. Tu as au moins la liber­té du choix !

Et quand tu déclares “rien de plus naturel”, est-ce que tu insi­nues que la nature est l'exem­ple à suivre ? Promène-toi dans la cam­pagne et observe comment la nature fonc­tionne : des chats qui égor­gent des rongeurs et des oiseaux, des insectes qui dévorent leur parte­naire après l'accou­ple­ment, des serpents qui englou­tis­sent des bébés lapins, etc.

La nature ne s'est jamais formée dans le dessein de pro­curer du bonheur aux créa­tures. Selon le prin­cipe des gènes, la seule fina­lité déve­lop­pée au fil de l'évo­lu­tion, c'est d'assurer la repro­duc­tion, coûte que coûte. En d'autres termes, tu as le choix de suivre tes ins­tincts natu­rels dans une ronde sans fin de plaisirs et de dou­leurs, ou d'accé­der à la liber­té du bonheur durable, en passant par la vertu, la con­nais­sance de soi et le déta­che­ment.

Matthieu Ricard a dit :

Attrayants au premier abord, les plaisirs se trans­for­ment le plus souvent en leur contraire. L’effort qu’exige un chemin spiri­tuel et le pro­ces­sus de libération de la souf­france suivent une pro­gres­sion inverse. Parfois ardu au départ, il devient de plus en plus aisé, inspi­rant, et confère peu à peu un sen­ti­ment de plé­ni­tude que rien ne saurait rem­placer.

Le rejet

Souvent nommé aversion ou colère, il est une force mentale assujet­tis­sante qui se carac­té­rise par le fait de rejeter, de fuir une chose, d'être répulsé.

Quelques émotions et pensées majo­ri­tai­re­ment engen­drées par le rejet :

  • rejet
  • irritation
  • colère
  • haine
  • dégoût
  • avarice
  • honte
  • peur
  • angoisse
  • frustration
  • impatience
  • tristesse

Le poison du rejet est juste l'exact opposé de celui du désir.

Comme nous venons de le voir, plus nous dési­rons et plus nous sommes frus­trés. De façon simi­laire, plus nous haïs­sons et plus nous sommes rejetés.

Si vous êtes confronté(e) à une personne mal­veil­lante à votre égard, de même que vous uti­li­se­riez de l'eau plutôt que du feu pour éteindre un feu, vous feriez preuve de bien­veil­lance envers elle, plutôt que de haine, ce qui ne ferait qu'aggraver la situ­ation ; la vôtre autant que la sienne !

Gandhi a dit :
Si l’on pratique “œil pour œil, dent pour dent”, le monde entier sera bientôt aveugle et édenté.

Celui qui use de la malveillance est le premier à en pâtir. Pire encore, nous l'emplo­yons souvent envers nous-mêmes, de façon incons­ciente.

Eckhart Tolle a dit :
Bien des gens sont aussi leur propre pire ennemi.

L'illusion

Ce poison, souvent nommé illusion, voire ignorance, est une force mentale acca­pa­rante qui se carac­té­rise par une vision erronée, déformée ou incom­plète de la réalité.

Quelques états d'esprit et pensées majo­ri­tai­re­ment engendrés par l'illusion :

  • ignorance
  • superstition
  • hésitation
  • orgueil
  • fierté
  • dédain
  • confusion
  • naïveté
  • doute
  • incompréhension

Une perception voilée

Seul un esprit bien propre est capable de voir le monde tel qu'il est. En atten­dant, nous demeu­rons à l'étroit, entre des murs sur lesquels nous avons peint ce que nous croyons être le monde. Même quand un sage nous ensei­gne une notion fonda­men­tale, nous ne pouvons la per­ce­voir telle quelle. Au mieux, nous mettons quelques coups de pin­ceau pour améliorer quelque peu notre image inté­rieure.

Cela montre comment l'illusion est un cercle vicieux duquel il est parti­cu­lière­ment dif­fi­cile d'échapper.

Au cœur de l'illusion se loge la plus sub­tile et la plus tenace des impu­re­tés men­tales : la croyance en un soi immuable, ce que nous appelons commu­né­ment l'ego. Sur le chemin de l'accom­plis­se­ment inté­rieur, cette croyance erronée est la der­nière à s'effon­drer. Il est donc utopique de chercher à percer ce voile tant que tous les autres n'ont pas été résolus. Il serait plus aisé à un aveugle de nais­sance de per­ce­voir les couleurs. Imagi­nez-vous un peu : cela revien­drait à voir men­ta­le­ment que le mental n'existe pas !

Ce qui reste concret pour tous, par contre, c'est l'orgueil et l'égoïsme. À l'aide d'une vigi­lance cons­ciente, nous pouvons déjà accom­plir un grand travail de nettoyage sur ces deux dis­po­si­tions d'esprit nui­sibles.

L'abbé Pierre a dit :
Quand on s’indigne, il convient de se deman­der si l’on est digne.

Ce qui n'existe pas

Vous n'imaginez même pas tous les tours que votre mental est capable de vous jouer. Comme indiqué plus haut, tout ce que nous per­ce­vons par nos six sens se fausse, se déforme ou se tronque, à travers les lu­nettes de nos illu­sions. Voilà pour­quoi, ceux qui par­vien­nent à ôter quel­ques voiles, affir­ment parfois :

  • Nous sommes dans un monde de fous, ce dans quoi s'investissent les gens n'a aucun sens !

Plus fou encore, nous percevons ce qui n'existe pas ! Je ne parle pas de l'absence de soi, trop subtil et im­pos­sible à déceler, mais de quel­que chose de bien grossier et de facile à appré­hender. Cepen­dant, lever un tel voile ne fait rien assi­mi­ler. On a beau savoir, on ne tarde pas à y retom­ber. Comme pour tout, c'est à force d'en cul­tiver une vision cons­ciente que nous finis­sons par ne plus en être dupé. Vous devez vous deman­der : “Mais de quoi s'agit-il, enfin ?”

Ce qui n'existe pas mais à quoi nous donnons le plus d'importance, ce sont tous les principes d'iden­ti­fi­ca­tion : les nations, les sys­tèmes reli­gieux, les partis poli­tiques, les entre­prises, les marques, et tant d'autres.

Nationalisme et argent

Le nationalisme

Prenons l'exemple de la nation française (si vous êtes d'une autre natio­na­lité, faites le rem­pla­ce­ment). Comme pour tout principe d'iden­ti­fi­cation, demandez-vous :

  • Quelle est son essence ? Comment et par quoi se forme-t-elle ?

Pourquoi les oiseaux allemands ne s'arrê­tent-ils pas à la fron­tière ? Ont-ils tous des papiers en règle ? Un Fran­çais a-t-il l'hélice de son ADN colorée en bleu blanc rouge ? Est-ce une loi natu­relle qui attri­bue notre natio­na­lité à la nais­sance ?

Pourquoi se sentir touché quand on entend parler de la France, même pour une chose dont on n'est pas con­cer­né ? Quel est ce voile bleu, blanc et rouge qui nous fait croire que la France est un pro­gramme gravé dans notre esprit et pro­tégé en écri­ture ? Qu'est-ce que cette partie du con­ti­nent a de diffé­rent des autres ? Pour­quoi se sentir si con­cer­né et si joyeux quand “la France” gagne un match de foot­ball ? Surtout quand la plu­part des jou­eurs de “l'équipe de France” sont d'ori­gine afri­caine !

Si vous êtes fier(e) de votre pays, demandez-vous préci­sé­ment pourquoi. Êtes-vous né(e) avant lui, l'avez-vous façonné de vos propres mains ? Et de quoi parlons-nous ? Des bâti­ments ? Des inven­tions ? De la culture ? Et de quelle zone géo­gra­phique est-il ques­tion ? Rien n'est plus ima­gi­naire qu'une carte du monde, qui de plus, change tout le temps !

Le 14e chapitre du roman La fillette et l'ascète illustre bien l'absurdité du concept de nation.

Outre le désir et le rejet, l'illusion est enclin à engen­drer la guerre, notam­ment à travers le natio­na­lisme. Adhérer à cette notion tota­le­ment vir­tu­elle qu'est la nation nous fait préférer quel­ques di­zaines de mil­lions de per­sonnes, que nous ne connais­sons ni d'Ève, ni d'Adam. Ce qui, par oppo­si­tion, engen­dre une cer­taine aver­sion envers le reste du monde. C'est pour cette raison que les soldats tirent sur des inconnus avec qui ils aurai­ent pu devenir les meil­leurs amis.

Autres identifications virtuelles

Quand on parle d'un yaourt Nestlé, s'agit-il d'une inven­tion exclu­si­ve de la marque ? “Nestlé” est-il le nom de la molé­cule qui cons­ti­tue la matière de ce produit ? Il faut essen­ti­el­le­ment du lait pour faire un yaourt, n'est-ce pas ? Alors cela signifie-t-il que les vaches qui l'on produit on été arti­fi­ciel­le­ment crées dans les usines Nestlé ?

Comme nous le savons tous, l'indus­trie de la publi­cité exploite abon­dam­ment notre pro­pen­sion à l'illu­sion. Notre condi­tion­ne­ment mental est si puis­sant que connaî­tre toutes les ruses des publi­ci­tai­res ne suffit pas. Encore et encore, nous nous ferons avoir.

Constat personnel

En Birmanie, dans un magasin de matériel infor­ma­tique se trouvait un pré­sen­toir avec trois souris de marques diffé­rentes : Sony, Samsung et Apple. Leur prix était le même (environ 3 €), leur design était par­fai­te­ment iden­tique, les embal­lages exac­te­ment les mêmes. Seuls les logos chan­geaient.

Parmi les choses qui n'existent pas, mais aux­quel­les nous inventons une exis­tence, l'argent est sans doute l'exem­ple le plus flagrant (l'histo­rien Yuval Noah Harari traite fort bien le sujet). Nous parlons d'argent virtuel à propos des tran­sac­tions numé­risées. Or, un billet de banque l'est tout autant. Qu'a-t-il de plus que la valeur que des humains veulent bien leur donner ? Si un Pascal permet­tait de s'acheter un bel appa­reil-photo, aujour­d'hui il ne pour­rait même pas payer un bonbon. Si le sys­tème ban­caire venait à s'effon­drer, même un billet de 500 € ne vaudrait pas plus qu'un billet de Mono­poly.

Souvent lié à l'argent, l'illu­sion que nous appelons “pos­ses­sion” est à l'origine de beau­coup de souf­france. Comme pour l'argent, elle prend aussi racine dans le désir.

Dicton amérindien
La Terre n'appartient pas aux Hom­mes ; ce sont les Hommes qui appar­tien­nent à la Terre.

Si quelqu'un affirmait que la notion de pos­ses­sion n'est qu'une illu­sion et qu'il n'en tien­drait désor­mais plus compte, tout le monde le pren­drait pour un fou. Pourtant, il aurait par­fai­te­ment raison (suis-je fou de l'affir­mer ?) Si tout le monde se mettait à penser comme lui, l'huma­nité vi­vrait en pleine har­mo­nie avec la nature, et dis­pa­raî­traient to­ta­le­ment la faim, la pau­vreté, toutes les formes d'es­cla­va­gisme, et la grosse majo­rité des con­flits. Là encore, je suis uto­pique, mais il s'agit seu­le­ment de montrer quelle quan­tité affo­lante de misère peut être créée seu­le­ment à cause d'une simple illu­sion.

Le réel avant tout

Le renonçant n'accorde aucun intérêt à ce qui n'existe pas. Il inves­tit son temps et son éner­gie à la médi­tation profonde et à la vigi­lance à l'ins­tant pré­sent ; c'est le seul moyen de s'affran­chir de toutes les formes d'aveu­gle­ment.

Le danger des religions, telles qu'elles sont prati­quées de nos jours, est la forte ten­dance à se tourner vers les as­pects les plus abs­traits, vers des choses qui n'exis­tent pas. Or, le réel est acces­si­ble à tous et à tout instant. Trop ennu­yeux, trop banal, trop fade ? Au prime abord, peut-être, mais avec un peu d'en­traî­ne­ment, la vision s'élar­git à grands pas. Rien n'est plus soulageant, inté­res­sant et émer­veil­lant que de soule­ver un à un les voiles de l'illu­sion qui nous entre­tien­nent dans la misère inté­rieure.

Lire aussi :
Les croyances
Adage juif
Nous ne voyons pas les choses comme elles sont, nous les voyons comme nous sommes.

Quel antidote aux 3 poisons ?

Méditation

La méditation est le seul moyen de parvenir à bout des poisons mentaux, car elle consiste en une inves­ti­ga­tion directe de chaque état d'esprit, et de fait, de déve­lop­per une com­pré­hen­sion pro­fonde de sa cause. Tout autre moyen serait super­fi­ciel ou encore basé sur de l'illu­sion, donc inef­fi­cace. L'autre grand avantage de la médi­ta­tion, c'est que bien avant de par­venir à l'extir­pa­tion de la triple racine de toutes les souf­frances, elle entre­tient l'esprit vers ses inver­ses béné­fiques.

Poisons racines Inverses
désir détachement
rejet acceptation
illusion discernement

Il est également encourageant de savoir que dès le moment où vous êtes en phase avec l'ins­tant présent, vous restez en dehors des trois poisons. En effet, ils ne peuvent appa­raître que dès lors que vous n'êtes plus dans l'atten­tion.

Pleine conscience

Si votre esprit n'est pas suffi­sam­ment immo­bile pour entrer en médi­ta­tion pro­fonde, vous pouvez déjà échap­per au plus gros du poids des émo­tions en vous entraî­nant chaque fois que possible à prendre cons­cience de ces émo­tions et pensées chaque fois que l'une d'elles fait surface, et de l'obser­ver avec préci­sion. Ce faisant, veillez à ne pas réflé­chir, estimer ou réagir de quelle façon que ce soit. Autre­ment, au lieu de s'extirper, le poison ne ferait que se répan­dre de plus belle.

Khyentsé Rinpoché a dit :
Dès qu’une pensée apparaît, recon­nais­sez sa nature de vacuité. Elle perdra aussi­tôt le pouvoir de susci­ter la pensée suivante, et la chaîne de l’illu­sion prendra fin.

Positivité

Une autre façon d'empêcher les poisons et leurs ravages est le déve­lo­ppe­ment de leurs inver­ses. Vous n'avez pas d'excuse pour vous en dis­pen­ser, car n'importe qui en est capable. Il est en tout cas facile d'essayer et les résul­tats vous appor­te­ront une joie et une clarté insoup­çon­nables.

Il s'agit de s'habituer à cultiver des quali­tés saines qui natu­rel­le­ment, lais­seront de moins en moins de causes pour ali­menter leurs inverses : les états mal­sains.

Voici quelques-uns de ces poisons (colonne du milieu), et leurs inverses à cul­tiver (colonne de gauche), à ne pas con­fondre avec leurs oppo­sés (colonne de droite).

Ce qui est intéressant à remarquer, c'est que chaque inverse positif annule non seule­ment le poison, mais aussi l'opposé de ce poison.

Inverses (positifs) Poisons Opposés
lâcher-prise avidité aversion
bienveillance aversion avidité
joie du bonheur des autres jalousie cruauté
compassion cruauté jalousie
humilité fierté honte
équanimité excitation peur
contentement colère jouissance

Vous vous en doutez, le fait d'être plongé dans une vie active à l'emploi du temps chargé ne cons­titue pas le cadre le plus pro­pice pour cultiver les quali­tés de l'esprit. Néan­moins, le fait de s'y entraî­ner un peu, par moments, fera déjà une diffé­rence signi­fi­ca­tive. Vous ne de­vriez jamais négli­ger la moindre oppor­tu­nité.

Astuces

Pour réduire votre colère, il existe un moyen bête de sim­pli­cité, mais qui peut avoir une grande effi­ca­cité. Cela impli­que un mini­mum d'accep­ta­tion et d'humi­lité. Si le com­por­te­ment de quelqu'un pro­voque en vous de l'irri­ta­tion, ayez le ré­flexe de vous dire l'une ou plu­sieurs des choses suivantes…

  • Il n'a pas réellement conscience de ce qu'il fait, sinon il n'en ferait rien.
  • J'ai agi de même par le passé ; je ne fais que régler une dette. Mieux je l'accepte, plus vite ce sera rem­bour­sé.
  • C'est un jeu. Plus je garde mon calme, plus je gagne (contre mon ego).
  • Ma colère ne contribuera qu'à dété­rio­rer la situa­tion (pour lui comme pour moi-même).
  • Ma bienveillance sera la plus puissante des armes contre son manque de consi­dé­ra­tion.

Si vous cherchez des moyens radicaux pour calmer vos désirs, voici quelques méthodes, à l'image des pra­tiques de répulsion appli­quées par certains moines bouddhistes…

Âmes sensibles s'abstenir !

Votre méditation est hantée par l'image de cette si jolie jeune fille que vous rêvez d'embras­ser ? Imaginez-vous en petite puce qui atterrit sur un coin de sa bouche. Ce que vos micro-yeux dis­tinguent, c'est une surface déchi­rée, dévoi­lant des crevasses où ruissel­lent des subs­tances gluantes, avec une odeur abo­mi­na­ble, et la surface comme les creux, grouil­lent d'épou­van­tables petits acariens poilus, remuant leurs pattes, creusant des tunnels dans la peau et laissant sur place leurs déjec­tions.

Sous cet angle, finie la petite bouche de prin­cesse allé­chante !

À présent, c'est la gourmandise qui s'en prend à votre équa­ni­mité ? Si vous vous imposez une inter­dic­tion, vous risquez de ne récol­ter que de la frus­tra­tion, et encore plus d'avi­dité. Pour ne plus être obsédé(e) par votre frian­dise pré­férée, rien n'est plus simple. Une fois de plus, il suffit de voir les choses telles qu'elles sont, selon 5 degrés. Arrêtez-vous lors­que cela fonc­tionne. Sinon, passez au suivant.

  1. Imaginez-la fade, sans sucre, ou sans sel, selon (votre gruyère n'est qu'un bout de plas­tique, votre glace n'est qu'un glaçon, votre mousse au choco­lat n'est qu'une géla­tine amère, votre crème de marron n'est qu'une purée fari­neuse).
  2. Imaginez-la mâchée et mélangée à votre salive, c'est-à-dire à l'étape précise où vous êtes en mesure de la savourer. Pourtant, son aspect n'est plus le même que dans la vitrine du pâtis­sier, n'est-ce pas ?
  3. Imaginez-la recrachée, juste avant l'avale­ment.
  4. Imaginez-la dans l'estomac, durant le pro­ces­sus de diges­tion.
  5. Imaginez-la entassée, en file d'attente, tout au fond de votre intestin.

Pardon d'achever cet article sur une note si peu appé­tis­sante, mais face aux poisons mentaux, mieux vaut ne pas mâcher ses mots !

Il n'y a pas de doute : nous sommes com­plè­te­ment accros aux poisons (désir, illu­sion, et même rejet !), jusqu'à ce que nous compre­nons que ce sont ces poisons qui sont dignes de dégoût.